Impact de la loi Sapin II sur les pratiques anti-corruption des entreprises françaises

June 6, 2019 FR EcoVadis FR

Interview

Corruption

Fabrice Fages et Thomas Grützner, tous deux associés au sein du cabinet Latham & Watkins commentent les résultats de l’étude EcoVadis “The Fight Against Corruption: Insights Into Ethical Performance in Global Supply Chains” consacrée exclusivement à l’observation et à la mesure de la qualité des systèmes anti-corruption dans les entreprises, et ce sur un large échantillon au niveau mondial.

 

Télécharger l’étude (en anglais) 

ou visionner le webinaire (en français) 

 

Q : L’étude internationale EcoVadis “Qualité des systèmes anti-corruption dans les entreprises” souligne que de nombreuses entreprises en France ne mettent pas encore en œuvre des politiques et des mesures anti-corruption adéquates. La loi Sapin II vient-elle combler ces lacunes ?

 

“Selon vos données, en 2016, seulement 27 % des entreprises françaises avaient mis en œuvre des politiques et 13 % des mesures concrètes de lutte contre la corruption ; en 2018, ces chiffres étaient respectivement de 49 % et 36 %.

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Ces chiffres s’expliquent par l’entrée en application de l’article 17 de la loi Sapin II en juin 2017 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016), qui a introduit l’obligation pour certaines entreprises de mettre en place un dispositif interne de prévention et de détection de la corruption.

 

En vertu de cet article, les programmes de lutte contre la corruption doivent par exemple inclure une cartographie des risques (alors que 89% des grandes entreprises n’effectuent pas de telles cartographies des risques), des programmes de formation pour les dirigeants et les personnes les plus susceptibles d’être exposées aux risques de corruption (alors que 59 % des grandes entreprises dans le monde ne dispensent pas encore ce type de formation) ou encore des procédures d’évaluation de leurs clients et fournisseurs (alors que 86 % des grandes entreprises dans le monde n’ont pas de procédures d’évaluation des tiers).

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Q : Les programmes français de lutte contre la corruption sont-ils applicables en dehors du territoire français ?

 

Oui. Par exemple, en vertu de l’article 17 de la loi Sapin II, les sociétés françaises et leurs filiales étrangères doivent mettre en place un code de conduite définissant les comportements à interdire au sein de l’entreprise en ce qu’ils sont susceptibles de constituer des actes de corruption ou de trafic d’influence (à condition que ces sociétés emploient au moins 500 personnes et réalisent un chiffre d’affaires dépassant 100 M€). L’Agence française anticorruption (AFA) a publié une recommandation dans lequel elle précise qu’un tel code de conduite doit être respecté partout où l’entreprise opère, que ce soit en France ou à l’étranger, « sans préjudice de l’application de références anticorruption plus exigeantes ».

 

Même si ces recommandations de l’AFA ne sont pas juridiquement contraignantes, il est toujours plus sûr de ne pas les ignorer, d’autant plus que l’AFA est également l’autorité qui veille au respect de la loi Sapin II. Dans la pratique, cependant, l’application de ces recommandations pourrait s’avérer complexe, en particulier lorsqu’elle est combinée avec la portée extraterritoriale d’autres législations.

 

Q : Comment l’AFA contrôle-t-elle le respect des obligations de mise en œuvre des pratiques anticorruption et, le cas échéant, sanctionne-t-elle les entités pour infraction à la loi Sapin II ?

 

L’Agence française anticorruption est investie d’un pouvoir administratif lui permettant d’évaluer la réalité et l’efficacité des programmes de conformité anticorruption. A l’issue d’une enquête, le directeur de l’AFA peut communiquer les faits relevés au Comité des sanctions de l’AFA afin que celui-ci puisse, à son tour, (i) demander à l’entité d’adapter son programme de conformité interne, (ii) imposer une sanction financière pouvant atteindre 1 M€ pour les personnes morales, et/ou (iii) ordonner la publication de sa décision aux frais de l’entité condamnée. Entre le 1er juin 2017 et le 31 décembre 2017, six enquêtes ont été menées par l’AFA, sans qu’aucune saisine du  Comité des sanctions n’ait été estimée nécessaire.

L’AFA avait affirmé qu’elle effectuerait plus de 100 contrôles au cours de l’année 2018.

Pour mener à bien leur mission, les agents de l’AFA peuvent (i) obtenir tout document professionnel et toute information pertinente à l’enquête et (ii) interroger toute personne dont l’assistance apparaît nécessaire afin de vérifier l’exactitude des informations transmises, y compris les personnes externes à l’entité contrôlée (fournisseurs, clients, intermédiaires, etc.). Toutefois, l’agence ne dispose pas d’un pouvoir coercitif et ne peut, par exemple, procéder à des perquisitions sur place. Conformément à la Charte des droits et devoirs des parties prenantes au contrôle de l’AFA, l’entité contrôlée et les personnes interrogées peuvent se faire assister par le conseil de leur choix mais ne peuvent invoquer le secret professionnel ou l’existence de secrets d’affaires pour refuser de répondre aux agents de l’AFA. Toutefois, ces derniers devraient assurer la confidentialité de leurs échanges avec les personnes interrogées et, même si cela n’est pas expressément mentionné, les documents couverts par le secret professionnel de l’avocat devraient demeurer protégés.   

 

Q : L’Agence française anticorruption se concentre-t-elle uniquement sur les sanctions ?

 

L’AFA n’est pas seulement chargée d’une mission répressive, mais aussi d’un rôle consultatif. L’agence a récemment publié sa charte d’appui aux entreprises dans laquelle elle détaille les trois niveaux de soutien qu’elle peut fournir aux entités relevant de la loi Sapin II.

Dans le cadre d’un appui générique, l’AFA développe, met à jour et partage le référentiel anticorruption français (y compris ses propres recommandations, ses orientations pratiques, etc.). De plus, dans le cadre de ses attributions d’appui spécifique, l’AFA organise des ateliers sectoriels ou thématiques afin de permettre aux personnes concernées de mieux cerner ses attentes en matière de conformité. Enfin, l’AFA propose des programmes d’appui individuels apportant des réponses pratiques aux questions concrètes que se posent les acteurs économiques ainsi que des séances d’aide à la réalisation d’un programme interne anticorruption.

 

Q : L’étude internationale EcoVadis “Qualité des systèmes anti-corruption dans les entreprises” montre que les secteurs les plus performants dans la lutte contre la corruption sont les secteurs de la finance et des assurances. Les secteurs les moins performants sont ceux des transports et de la construction. Comment expliquez-vous cela pour la France ?

 

En France, ces résultats s’expliquent par la législation anti-corruption qui, avant la récente promulgation de la loi Sapin II, ciblait déjà des secteurs spécifiques, parmi lesquels les secteurs de la finance et des assurances. En application des articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier, les entités concernées doivent mettre en place des mécanismes de vigilance raisonnable pour identifier et évaluer les risques auxquels elles sont exposées et une politique adaptée à ces risques. En particulier, avant d’établir une nouvelle relation d’affaires et tout au long de cette relation, elles doivent recueillir toute documentation suffisante pour permettre l’identification de leurs clients et de leurs bénéficiaires effectifs ainsi que des opérations financières auxquelles elles participent. En outre, les entités concernées doivent signaler tout soupçon de blanchiment d’argent, de fraude fiscale ou d’activités illégales à l’unité française de lutte contre le blanchiment d’argent (Tracfin).

 

Q : Pour terminer, un mot sur nos voisins allemands qui ne disposent pas d’une législation strictement équivalente à la Loi Sapin II. Quels sont les signaux récents en Allemagne sur ces questions ?

 

Dans la jurisprudence récente, la décision la plus importante est un jugement qui était très attendu du 9 mai 2017 par lequel la Cour suprême allemande a considéré que, pour le calcul d’une amende, les agences compétentes peuvent tenir compte de la mesure dans laquelle l’entreprise a respecté son obligation de mettre en œuvre un « système de gestion de la conformité » ainsi que de sa réaction après la détection de ses actes fautifs (dossier n° : 265/16 BGH – 1 StR). La communauté juridique allemande considère cette décision comme la confirmation que les efforts de conformité contribuent à réduire la responsabilité des entreprises.

 

Merci à Fabrice Fages et Thomas Grützner pour leur contribution.

 

Latham & Watkins est un cabinet d’avocats véritablement intégré dont la gestion est décentralisée et s’exerce au sein de chacun des bureaux répartis dans 14 pays. Plus de 2600 avocats exercent dans les principales capitales économiques et financières dans le monde, constitués en plus de 60 groupes d’expertises juridiques et sectorielles.

 

 

En savoir plus, les sources disponibles :

Etude exhaustive en anglais “The Fight Against Corruption: Insights Into Ethical Performance in Global Supply Chains”

Grands résultats / communiqué de presse en français

Webinaire “management des enjeux de corruption” en partenariat avec le MEDEF

Articles : “comment mesurer la corruption” et “les performances éthiques des entreprises

A propos de l'auteur

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