Point de vue Expert
Interview de Françoise Odolant, Responsable du pôle Acheteurs, Chartes et Labels, Médiation des Entreprises
A l’occasion de la publication du tout nouveau livre blanc de Hugues Poissonnier consacré au label Relations Fournisseurs et Achats Responsables et destiné aux chefs d’entreprise, Françoise Odolant revient sur les grandes étapes de ce premier et seul Label décerné par des pouvoirs publics en la matière.
Comment est née l’initiative de charte puis de label achats responsables ?
“En 2009, lorsque le groupe de travail mobilisé par la Médiation et composé des directeurs achats représentants du Conseil National des Achats (CNA) a rédigé la charte pour des Relations fournisseurs responsables, il a été guidé par trois grandes lignes directrices :
- le sentiment d’urgence afin d’éviter que les mauvaises pratiques achats n’entrainent rapidement la disparition de nombreuses entreprises,
- le sens des responsabilités pour dire haut et fort les bonnes pratiques à promouvoir afin de favoriser la bonne vitalité de notre économie nationale,
- et le souci de la redevabilité, qui a conduit les auteurs de la charte au pragmatisme nécessaire afin de pouvoir raisonnablement mettre en œuvre ces engagements pour des achats responsables.
L’ambition de la Médiation et du Conseil National des Achats au sujet de la charte « Relations fournisseurs responsables » était de fixer clairement des orientations pour construire et animer des relations équilibrées entre les grands comptes et leurs fournisseurs TPE/PME et de proposer une alternative au modèle des relations clients-fournisseurs placées sous le rapport de forces.
Pour ce faire, l’essentiel des problématiques et des enjeux est ressorti à l’occasion de ce dialogue entre la Médiation porteuse de la voix des dirigeants des TPE/PME et le Club des directeurs achats hautement sensibilisé à l’éthique des affaires, sous la forme de dix engagements :
- 7 engagements de principe pour adopter des comportements d’achats responsables,
- ainsi que 3 engagements donnant les moyens aux fonctions achats de piloter pour leur organisation (privée ou publique) le plan de transformation des pratiques en conséquence.
Le texte de la charte rédigé en quelques mois est passé de l’ombre à la lumière début 2010 lors de la première cérémonie de signature en février à Bercy en présence de la Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, madame Lagarde, des dirigeants des 21 grands comptes y adhérant et des directeurs achats concernés. Dans la foulée, un premier comité de pilotage organisé par la Médiation et le Conseil National des Achats courant avril 2010 a, à la fois, concrétisé le respect strict et sincère des engagements pris dans cette charte et instauré un état d’esprit de partage des bonnes pratiques et de l’intérêt des retours d’expériences entre signataires. La communauté des signataires de la charte était créée. Elle ne cesse de grandir depuis. A ce jour, plus de 2000 entreprises sont signataires !
Dès 2011, sous l’impulsion de Jean-Claude Volot, premier médiateur des entreprises, l’équipe de la Médiation a travaillé avec Vigeo, cabinet expert en matière de RSE, pour prolonger la charte et monter un label achats responsables afin de proposer aux acteurs économiques un outil d’évaluation de leurs pratiques achat. Dès 2012, quatre premières grandes entreprises obtenaient le label : Legrand, SNCF, Société Générale et Thalès. A ce jour, 45 premières organisations sont labellisées et forment une véritable communauté”.
Le label RFAR, comment ça marche ?
“Le label vise à compléter le dispositif en permettant aux organisations volontaires de mesurer leur maturité par rapport aux 10 engagements de la charte complétés en regard avec les 36 mauvaises pratiques listées dans le Rapport Volot remis au ministre en août 2010.
Le questionnaire du label est structuré selon 3 angles de vue pour évaluer chaque critère, ce qui conduit les candidats qui préparent leur dossier pour accueillir l’évaluateur à scruter :
- leurs documents de politique et de procédure pour étayer que leur engagement en matière d’achat responsable est explicite et bien aligné avec les axes RSE fixés par leur direction générale,
- leurs pratiques pour mesurer le déploiement sur le terrain avec l’ambition exigeante que ce soit le plus systématique possible
- et leurs tableaux de bord, objectifs, indicateurs et résultats pour démontrer l’efficacité du pilotage de leurs plans d’amélioration.
Lors de l’examen initial d’une candidature, le comité d’attribution est composé de manière paritaire par la Médiation des entreprises et le Conseil National des Achats. Le dossier est composé :
-du rapport de l’évaluateur agréé tiers externe neutre et indépendant
-mais aussi de documents proposés par le candidat lui-même, en particulier la lettre de couverture engageant sa haute direction et son plan de progrès en regard des pratiques les moins matures.
Le Label encourage donc la transformation des pratiques en laissant chaque organisation définir ses priorités et les moyens qu’elle peut y allouer.
L’attribution du Label « Relations fournisseurs et achats responsables » (RFAR) distingue les organisations ayant fait la preuve d’une certaine maturité en matière d’achats responsables et d’une volonté claire de renforcer encore l’équilibre de ses relations avec ses fournisseurs.
Le Label est attribué pour 3 ans mais tous les ans les évaluateurs reviennent pour examiner la situation sur une douzaine de questions rédhibitoires et le respect du plan d’action.
La Charte et le Label s’inscrivent pleinement dans la mission générale du Médiateur des entreprises qui consiste à renforcer la confiance entre les acteurs économiques pour soutenir et développer la compétitivité de nos entreprises, et en particulier celle des TPE et PME”.
Le Label RFAR est un label d’Etat. Demeure-t-il à ce jour le seul d’outil d’évaluation Achats Responsables porté par des pouvoirs publics ?
“Je ne connais pas d’initiative semblable : quand on a travaillé avec des experts du monde entier pour élaborer la norme ISO 20400, l’approche de la France était singulière avec cette vision de politique économique collaborative.
Les autres experts venaient à titre individuels, en étant souvent des consultants… sauf la délégation du Brésil qui impliquait aussi des entreprises mais pas de représentant du gouvernement. Autre exemple, le gouvernement allemand qui a par exemple mandaté depuis 2001 le conseil allemand pour le développement durable (RNE) pour accélérer la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement durable cherche à engager les entreprises avec le “Code de développement durable”, mais sur l’ensemble des enjeux RSE et non sur les seuls enjeux achats responsables. Un projet de loi Supply chain est aussi en projet.
Les autres pays qui promeuvent ISO 20400 sont au stade de formation et d’accompagnement, en s’appuyant localement sur des offres commerciales privées”.
Près de la moitié des labellisés RFAR sont aussi présents sur la plateforme EcoVadis. Quelle est votre analyse ?
La moitié des organisations labellisées RFAR sont évaluées par EcoVadis et/ou utilisent la plateforme EcoVadis pour évaluer les performances RSE de leurs propres partenaires commerciaux et les engager dans des plans de progrès. Pour la plupart, l’utilisation de la solution EcoVadis est antérieure à l’obtention du label.
“Quand on commence à parler d’achats responsables, cela se traduit souvent d’abord par : « mes fournisseurs sont-ils responsables ? ». La création de la plateforme EcoVadis, en 2007, est dans cette logique-là.
Sur le plan historique, la charte RFR publiée en 2010 a été le premier texte de référence proposant aux acheteurs de scruter leurs propres pratiques achats pour mettre en œuvre des principes d’achats responsables selon 9 articles, tout en faisant dans un dixième article (le n° 6) la passerelle avec la performance RSE de leurs propres fournisseurs (ce que la plateforme EcoVadis mesure) : valoriser la dynamique de l’exemplarité du client et de ses exigences pour avoir un effet d’entraînement sur la performance de ses fournisseurs.
Certainement, des directions achats assez matures pour utiliser la plateforme EcoVadis ont pu également être intéressées par le dispositif du label puisqu’il est complémentaire tout en étant tourné vers l’évaluation de leurs propres pratiques. On peut considérer que les labellisés actuels sont encore des profils de pionniers et d’ambassadeurs des meilleures pratiques en la matière. Avec le temps, on verra arriver les plus suiveurs (me too strategy), le nombre augmentera certainement !”
La signature de la charte achats responsables et l’obtention de la labellisation sont bien évidemment des éléments de preuves qui pèsent lourd dans l’évaluation EcoVadis : le score EcoVadis « Achats Responsables » des entreprises labellisées RFAR est en moyenne supérieur de presque 20 points à la moyenne des grandes entreprises françaises évaluées non labellisées.
“Il est certain que la charte et encore plus le label ont un rôle pédagogique et structurent une feuille de route et une montée en compétences des organisations qui y adhèrent. Il est donc logique que leur score EcoVadis sur le thème Achats Responsables puisse être meilleur que celui de la moyenne des entreprises évaluées. La charte et le label promeuvent de manière pragmatique, opérationnelle comment mettre en œuvre des achats responsables.
Au-delà des textes, ceux qui sont dans cette communauté sont mieux informés de toutes les aides que nous mettons à leur disposition, des publications de recommandations, des meilleures pratiques observées chez les labellisés, etc… L’appartenance à cette communauté est animée en permanence et cela favorise certainement d’être plus avancé que d’autres sur ces sujets. Entre signataires et/ou labellisés, ils échangent sur leur pratiques et font du benchmark ciblé sur un point ou un autre… le livre blanc rédigé et coordonné par Hugues Poissonnier s’appuie justement sur cette communauté !
C’est une belle opportunité de faciliter la multiplication du nombre de labellisés, je sais que c’est le vœu le plus cher des pionniers qui s’y sont déjà engagés et le sens de la préface de Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises : “Je ne peux qu’encourager les chefs d’entreprises, directeurs achats, administrations et collectivités territoriales à le consulter, le partager le plus largement possible et s’en inspirer pour s’engager dans la démarche de labellisation qui permet, d’une part, la transformation des pratiques et, d’autre part, la construction d’un écosystème des achats performants et durables !”
Nouveau livre blanc “De la Charte au Label “Relations Fournisseurs et Achats Responsables” : une démarche de progrès créatrice de valeur”
***
À propos du Médiateur des entreprises :
Le Médiateur des entreprises, placé auprès du ministre de l’Economie et des Finances, vient en aide aux entreprises et aux organisations publiques afin de résoudre gratuitement leurs éventuels litiges via la médiation et, plus largement, faire évoluer les comportements d’achats, dans le souci de rééquilibrer les relations clients fournisseurs, notamment grâce à la Charte « Relations fournisseurs responsables » et au Label « Relations fournisseurs et achats responsables », en partenariat avec le Conseil National des Achats (CNA). Il intervient également dans le domaine de l’innovation. Son réseau est présent dans toutes les régions. La saisine s’effectue depuis le site www.mediateur-des-entreprises.fr
A propos de l'auteur
Plus de contenu par Veronique Seel