Comprendre, refuser et agir contre le travail des enfants dans la chaîne de sous-traitance

June 8, 2020 Veronique Seel

Comprendre, refuser et agir contre le travail des enfants dans la chaîne de sous-traitance

Au bout de la chaîne de sous-traitance, des enfants, des femmes, des hommes sont encore trop souvent en situation de travail forcé.

Le travail forcé ou obligatoire qui désigne «tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré» rejoint la notion d’esclavage moderne (modern slavery act / UK). Selon les Nations Unies et le « Walk Free Global Slavery Index », environ 46 millions de personnes sont esclaves dans 167 pays du monde en 2016. Près de 80% s’échinent dans du travail forcé et de l’esclavage pour des industries nécessitant de la main d’œuvre manuelle et 20% sont prisonniers de la prostitution et de l’esclavage sexuel. Plus d’un quart des victimes sont des enfants, soit plus de 11 millions dans le Monde.

Sur le travail des enfants, une convention de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) fixe à 15 ans (13 ans pour les travaux légers) l’âge minimum d’admission à l’emploi ou au travail et à 18 ans (16 ans dans certaines conditions strictement définies) l’âge minimum pour les travaux dangereux. Elle prévoit la possibilité de fixer, dans un premier temps, l’âge minimum à 14 ans (12 ans pour des travaux légers) dans les cas où l’économie et les institutions scolaires du pays ne sont pas suffisamment développées.

La plupart des gouvernements agissent et s’engagent. Ainsi, sur les 161 pays étudiés dans le global slavery index, 93% d’entre eux ont mis en place un dispositif d’accompagnement des victimes avérées, et 77% l’ont pénalisé, et un peu plus de la moitié ont mis en place un plan national d’action.

Les entreprises ont aussi un rôle à jouer, aucune organisation n’est à l’abri. La récente loi française sur le Devoir de vigilance illustre bien le nouveau rôle géopolitique assigné aux entreprises. Les enjeux pour les entreprises et leurs dirigeants sont multiples :

Enjeux financiers (amendes, interdiction ou limitation des échanges commerciaux, gels d’actifs et cours des actions)

Enjeux de réputation (mise en demeure publique, suspension de dirigeants, atteinte à la crédibilité de la marque, controverses dans la presse spécialisée, nationale ou internationale, perte de crédibilité auprès des analystes / marchés financiers et perte de clientèle)

…sans oublier les enjeux pénaux (condamnations pénales de l’entreprise et de ses dirigeants, peines de prison)

Accentuation du risque du travail des enfants durant la crise du Covid-19 

En raison du manque de main d'oeuvre et des fermetures massives des écoles (voir les chiffres de l'UNESCO relatif à l'impact du Covid-19 sur l'éducation), le risque d'observer une augmentation du travail des enfants dans le cadre de cette pandémie mondiale est élevé. En effet, l’UNESCO estimait début mai qu'à l'échelle planétaire plus de 70% des enfants n’allaient pas à l’école.

Soit plus de 1 250 millions d’enfants qui, notamment dans les campagnes, pourraient se voir confier des tâches inappropriées à leur âge. Martine COMBEMALE, fondatrice de RHSF, témoigne : 

"En France, notre organisation constatait déjà en 2019 dans des exploitations agricoles des situations de travail dangereux d’enfants de moins de 16 ans, sans autorisation de l’inspecteur du travail. Le risque est nettement aggravé par la pandémie actuelle.  RHSF appelle l’ensemble des acteurs politiques et économiques, en particulier en France et dans l’Union européenne, à se mobiliser dès maintenant «pour que de telles choses ne soient pas», comme le demandait Victor Hugo en 1849, pour que de telles choses ne soient plus." 

RHSF Ressources Humaines Sans Frontières : Comprendre / Refuser / Agir

De gauche à droite : Hui Chen-Malbranque, Directrice Asie de RHSF, Sylvain Guyoton, Vice-President Research et Melina Goncalves, Analyst à EcoVadis et Martine Combemale, Fondatrice de RHSF.

Pour Martine COMBEMALE, “pour agir efficacement, il faut concilier les attentes légitimes des deux maillons extrêmes de la chaîne de sous-traitance, l’entreprise donneur d’ordres et le travailleur du bout du monde, c’est la mission que s’est donnée Ressources Humaines Sans Frontières. Notre démarche préfère le questionnement au jugement, le dialogue à l’interventionnisme, l’accompagnement à la substitution.

RHSF propose de mutualiser les efforts pour mieux aborder la complexité des chaînes d’approvisionnement, au vu du nombre de fournisseurs, de leur localisation et de la diversité de leur niveau de maturité sur les sujets RSE. Le secteur d’activité n’est pas un frein à la mutualisation. “Je me suis aperçue que les problématiques étaient identiques, quels que soient les secteurs d’activité concernés. Sur les droits humains, les spécificités sectorielles sont peu importantes. Dans tous les cas, chercher à construire la maison des droits de l’homme sans des fondations solides est voué à l’échec. Il faut avoir au moins un système RH qui se tient”.

Comment agir concrètement contre le travail des enfants et le travail forcé : que faire pour prévenir ces situations, comment y remédier lorsque les risques sont avérés ?

Comprendre

Fondée par des professionnels de la RSE et des Ressources humaines, l’association cherche à capitaliser et partager l’expérience et les outils, former sur les problématiques spécifiques liées au travail décent , au travail forcé et au travail des enfants et proposer des pistes d’action. Treize cartes pays à ce jour détaillent en profondeur les risques sociaux et recensant par exemple les interlocuteurs sur place par type de problématique.

Sylvain Guyoton, Senior Vice-President Research EcoVadis, rappelle l’importance de diversifier ses sources d’informations et l’intérêt de la mutualisation dans l’identification et le suivi des risques liés aux droits humains dans la chaîne de sous-traitance. « Les échanges d’informations avec RHSF contribueront à comprendre encore mieux les ressorts des problématiques des droits de l’homme dans certains pays à risque, en particulier sur le travail des enfants et l’esclavage moderne. De multiples bases de données internes sont sollicitées par notre service « cartographie des risques” mais il est toujours utile pour nos équipes de pouvoir en complément échanger régulièrement avec des experts, afin de rester en alerte. Dans ce contexte, EcoVadis a décidé de s’engager en adhérant au fonds de prévention des risques créé par RHSF. C’est avant tout pour EcoVadis un acte de mécénat.”.

RHSF édite aussi des guides pratiques qui s’enrichissent au fur et à mesure des missions : exemplaires de contrat, documentations à destination des employés et des encadrants, questionnaires… La longue expérience et la diversité des missions de l’association entretiennent la mise à jour permanente des outils, selon leur efficacité sur le terrain. Une erreur doit aussi être partagée. Ainsi, pour présenter un nouveau système de rémunération dans une entreprise en Chine, les guides produits avec l’association n’ont pas été compris, jugés trop longs, trop compliqués par les ouvriers et les contremaîtres, jusqu’à susciter un début de grève alors que l’objet était de mettre en place un système RH plus juste et rémunérateur. La seconde version très courte tenait sur une feuille A4 sans évoquer l’ensemble des conditions. C’est ce type d’expérience concrète que RHSF souhaite partager avec les entreprises.

Refuser & Agir

RHSF Agit sur le terrain pour faire respecter les droits de l’Homme au travail au travers de projets pilotes en conciliant les intérêts légitimes de tous, de l’entreprise au travailleur du bout du monde. La fondatrice parle de mécénat intelligent et évoque Cava school, les écoles d’apprentissage adaptées aux cultures locales qui visent à donner de l’employabilité aux jeunes et …les faire rêver ! “il faut faire rêver les enfants”.

Un cadre d’action, le fonds de prévention des risques RHSF

Mutualiser les efforts pour agir. Suite à l'entrée en vigueur de la loi sur le devoir de vigilance qui ouvre la voie vers une plus grande responsabilisation des entreprises et de leurs sous-traitants, l’association RHSF a créé un Fonds de prévention des risques dédié à la prévention du travail des enfants et du travail forcé dans la chaîne de sous-traitance. Des entreprises aussi diverses que Maisons du Monde, Total et Petzl y ont adhéré et EcoVadis fait également partie de la liste.

Chaque contribution d’entreprise permet d’améliorer, d’affiner et de développer les outils créés par RHSF (cartes pays, guides…) mais aussi de réfléchir à un système de remédiation pour les victimes, une fois que les risques sont avérés. “Pour une entreprise, la souscription à ce fonds, c’est contribuer à la mise en oeuvre du devoir de vigilance dans son entreprise et asseoir sa crédibilité sur ces questions” rappelle la fondatrice.

Aller plus loin :

Visualisez plein écran ou téléchargez le rapport "Modern Slavery in Supply Chains: The New Legislative Landscape and Due Diligence Strategies" qui dresse un panorama des législations existantes et présente les stratégies de diligence raisonnable pour lutter contre le travail forcé et toute forme d’esclavage moderne.

***

RHSF est une ONG (organisation non gouvernementale) à vocation internationale qui vise depuis plus de 10 ans à agir efficacement contre le travail forcé et contre le travail des enfants. Présente en Chine, en Inde et aux Etats-Unis, sa mission est de promouvoir le respect des droits de l’Homme au travail sur toute la chaîne de sous-­traitance dans le respect de l’environnement et des communautés.

A propos de l'auteur

Veronique Seel

Véronique Seel has been creating French content (data/studies/analysis and interviews) for EcoVadis since 2017. A graduate of the Conservatoire National des Arts et Métiers (Paris) in Engineering and B2B Marketing, Véronique progressively specialized in CSR and sustainability during her time as consultant for Vigeo Eiris, then helped BNP Paribas Cardif to create a Sustainable Development department, followed by three years contributing to cleantech and mobility projects in the European Atlantic Area. Véronique Seel is a partner of the Coapi cooperative based in La Rochelle, France.

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