"Minerais de conflits" : comment s’assurer d’un approvisionnement responsable ?

May 17, 2021 Indra Lancien

Depuis le 1er janvier 2021, une nouvelle législation est entrée en vigueur dans l’Union européenne : le règlement relatif aux minerais provenant de zones de conflit.

Ce règlement concerne le commerce de quatre minerais - l’étain, le tantale, le tungstène et l’or (3T). Il vise à encadrer l’extraction des minerais dans certaines zones (République Démocratique du Congo et la région des Grands Lacs Africains, Birmanie, Amérique latine) et son commerce à l’origine de conflits armés et de violations de droits de l’homme et le travail forcé des enfants. 

Ainsi que le rappelle Isabelle Devin, Operations manager au sein des équipes d'analystes RSE EcoVadis, cette avancée règlementaire nous vient des Etats Unis.

Le Dodd Frank Act a été un acte essentiel dans la prise en compte des enjeux humains liés aux minerais du conflit. Il s'inscrit parmi les initiatives clés visant à amener plus de transparences dans les chaînes d'approvisionnement. Depuis lors, les entreprises, d'abord aux Etats-Unis, puis dans le reste du monde, ont petit à petit intégré formellement ce sujet dans leurs processus achats. Même si cela ne va pas sans challenges, notamment politiques !  - Isabelle Devin EcoVadis 

 

Article d'invité ("guest blog") - Indra Lancien, Sustainability Analyst - un expert de l'équipe de Nexio Projects, partenaire formation EcoVadis

Pourquoi la question des « Minerais de conflits » doit-elle vous interpeller ?

Nous l’avons dit et nous ne le répéterons jamais assez : l’approvisionnement durable des entreprises ne peut faire fi de la responsabilisation, de la transparence et des raisons socio-environnementales. Pour beaucoup d’industries, telles que la technologie, les services médicaux, la joaillerie ou bien encore l’automobile, cela implique de prêter une attention toute particulière à la provenance de l’étain, du tantale, du tungstène et de l’or (les « 3TG » de Tin, Tantalum, Tungsten and Gold) et communément appelés « Minerais de conflits ». 

Regardez de plus près les conditions alarmantes dans lesquelles sont extraits ces minerais et les violations des droits de l’Homme qui en accompagnent leur production. 

Comme son nom l’indique, les « Minerais de conflits », parfois également nommé « minerais du sang » continuent d’être au cœur des conflits de la République Démocratique du Congo (RDC) et des pays voisins. Ces minerais proviennent du conflit le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec 5,4 millions de morts depuis le début des années 90. Les mines de l’Est du Congo sont gérées par des groupes armés qui persécutent les civils et perpétuent des méthodes barbares pour conserver leur pouvoir dans ces zones riches en matières premières. Pour faire pression sur les populations locales, les enfants sont enrôlés en tant que soldats et mineurs dès leur plus jeune âge, tandis que les femmes sont victimes d’agressions sexuelles quotidiennes. 

 

Quelles utilisations des « Minerais de conflits » ?

Grâce au travail des Organisations Non-Gouvernementales et à l’exposition médiatique croissante, les consommateurs ont désormais connaissance de cette problématique. Malheureusement, notre monde actuel est si dépendant de ces ressources qu’il n’est pas toujours possible de trouver des alternatives. Nous les manipulons au quotidien. Prenons comme exemple le téléphone mobile :

  • Le tantale est un composant pour le stockage l’électricité dans la batterie ;
  • Le tungstène permet à votre téléphone de vibrer ;
  • L’étain est utilisé pour souder les composants sur le circuit imprimé ;
  • L’or enduit le câblage.

La difficulté de faire face aux violations des droits humains et aux affrontements repose sur des initiatives multipartites. Les engagements des entreprises et des régulateurs permettent d’assurer une meilleure traçabilité des produits afin d’éviter de participer à l’exploitation de ces ressources provenant de zones de conflits ou à haut risque.

La plupart des entreprises avec lesquelles nous avons travaillé n’ont pas connaissance de la présence de « Minerais de conflits » dans leur production. 

"80% des entreprises ne savent pas si leurs produits contiennent des « minerais de sang ». Parmi les répondants, seul 1% des entreprises est en mesure de déclarer avec certitude que les matières premières proviennent de zones non-conflictuelles ; 19 % pensent qu’il n’y a aucune raison qu’elles soient liées à la situation en Minerais de conflits".  source Etude Harvard Business Review 2017 

Ces chiffres témoignent d’un manque évident de connaissance et prise de conscience à ce sujet.

Voici quelques pistes de réflexion : 

 

À quoi ressemble une chaîne d’approvisionnement de minerais ?

Que vous soyez un site d’extraction, un transformateur, négociant ou producteur de ces minerais, la traçabilité sur la provenance doit être une priorité dès lors que vous en possédez dans votre chaîne d’approvisionnement. 

Traditionnellement, la chaîne d’approvisionnement classique des minerais dits 3TG ressemble au schéma suivant : 

 

Bien que la majeure partie des mines de 3TG se trouve dans la région des Grands Lacs de la République Démocratique du Congo, il en existe également en Amérique du Sud, au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est. Les raffineries et fonderies, qui transforment les minerais en matières premières exploitables pour l’industrie, se situent majoritairement en Asie. Les producteurs du monde entier, issus des différentes industries, importent ensuite ces ressources afin de manufacturer leurs produits. Bien-entendu, le consommateur est le dernier acteur.

 

La conformité réglementaire

En janvier 2021, le règlement Européen relatif aux minerais provenant de zones de conflit est entré en vigueur dans une volonté de réguler les chaînes d’approvisionnement et forcer la transparence des différents acteurs. Le règlement reprend les bases du travail de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et de son Guide sur « le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque ». Dorénavant, les importations européennes d’étain, de tantale, de tungstène et d’or doivent respecter, tout au long de la chaîne, des conditions réparties en 5 points :

 

  1. Mettre en place des systèmes de gestion solides ;

  2. Identifier et évaluer les risques liés à la chaîne d’approvisionnement ;

  3. Concevoir et mettre en œuvre une stratégie pour répondre aux risques identifiés ;

  4. Faire réaliser par un tiers un audit indépendant de l’exercice du devoir de diligence concernant la chaîne d’approvisionnement en des points déterminés de cette chaîne ;

  5. Rendre compte de l’exercice du devoir de diligence concernant la chaîne d’approvisionnement.

 

Aux États-Unis, sous l’administration de Barack Obama, la section 1502 du Dodd-Frank act (2010-2014) a contraint les entreprises publiques de suivre et contrôler leurs chaînes d’approvisionnement en minerais. Cela afin d’assurer qu’aucun d’entre eux ne provenaient de la zone de conflit de la République Démocratique du Congo.

La principale différence entre ces deux règlements repose sur le fait que celui des États-Unis cible spécifiquement une zone géographique alors que celui de l’Union Européenne couvre le monde entier. De plus, alors que les États européens se positionnent sur une réforme sur l'amont, les États-Unis eux avaient ciblé les acteurs en aval de la chaîne d’approvisionnement.

 

Les meilleures pratiques pour les entreprises situées en aval

Ce nouveau règlement s’applique aux entreprises en amont mais influence naturellement celles qui se trouvent en aval puisqu’elles vont désormais pouvoir exiger une preuve de traçabilité de leurs matières premières.

Au sein de l’UE, les acteurs situés en amont de la chaîne ont leurs responsabilités bien définies avec ce nouveau règlement, mais ce n’est pas nécessairement le cas pour les acteurs en aval. Il est primordial de mettre en place des procédés afin de soutenir les entreprises dans leurs démarches de contrôle de leurs minerais.

 

GRANDES ÉTAPES 

 
  • IDENTIFIER CLAIREMENT VOS FOURNISSEURS

Cela peut sembler évident mais une chaîne d’approvisionnement transparente commence par un étiquetage clair, surtout lorsqu’il s’agit d’une chaîne complexe. Il est important faire un suivi de vos fournisseurs grâce à une base de données régulièrement mise à jour. Indiquez le nom de vos fournisseurs, l’entité, la localisation, la personne-contact, le type de matières premières et les quantités commandées.

  • CONNAÎTRE SES FOURNISSEURS « À RISQUES »

Avec une analyse de risques et une base de données complète, il est facile de déterminer les fournisseurs qui doivent être suivis dans le cadre de la traçabilité des 3TG. Rechercher la présence d’étain, de tungstène, de tantale et d’or dans vos matériaux sourcés est extrêmement important car certains d’entre eux peuvent être dissimulés. L’étain est par exemple fréquemment trouvé dans le fer blanc.

  • ÉVALUER VOS FOURNISSEURS

Une façon transparente de communiquer au sujet des « Minerais de conflits » passe par l’utilisation du Modèle de Rapport pour Minéraux de Conflits (CMRT), un outil standardisé et gratuit de l’Initiative des Minerais Responsables (IMR). Cet outil facilite le partage d’information entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Afin de vous assurer que vous possédez toutes les informations sur le contenu de vos produits, demandez à vos fournisseurs de remplir le document modèle (Conflict Minerals Reporting Template – CMRT, en anglais). Cela vous permettra de connaître le pays d’origine des minerais sourcés ainsi que les raffineries et fonderies mobilisées. 

  • ÉTABLIR SES PROPRES LIMITES

Il existe plusieurs façons d’établir vos limites et de demander la responsabilité de vos fournisseurs sur l’approvisionnement des minerais. Exiger un audit est une manière très efficace d’atteindre cet objectif. L’audit le plus répandu est le RMAP (Responsible Minerals Assurance Process ou Processus d'assurance responsable des minéraux) du RMI. Il identifie les raffineries et fonderies qui produisent des minerais sourcés de façon responsable et en accord avec les directives de l’OCDE. De plus, vous pouvez indiquer à vos fournisseurs vos attentes et obligations dans une charte de bonne conduite ou inclure des clauses restrictives au sujet des « Minerais de conflits » dans vos contrats.

  • CRÉER LES PROCÉDURES DE REMÉDIATION NÉCESSAIRES 

Avec les nouveaux règlements en place et la prise de conscience internationale, vous pouvez désormais élever vos attentes. Pensez à votre approche lors d’une non-conformité de la part d’un de vos fournisseurs et créez une procédure afin de la gérer, de la médiation à la rupture du contrat.

Si des données semblent être contradictoires, avec par exemple un fournisseur indiquant ne pas sourcer de minerais de conflits alors que la fonderie est connue pour en utiliser, il est bon de prendre des mesures correctives rapides. En plus des risques judiciaires, votre réputation pourrait être mise à mal et l’activité de votre entreprise impactée. Pour vérifier ces informations, vous pouvez accéder à la liste (en anglais) des raffineries et fonderies.

  • FORMALISER LE TOUT EN UNE POLITIQUE D’ENTREPRISE

Créer une politique d’entreprise à ce sujet vous aidera à naviguer dans la gestion complexe de votre devoir de diligence. Vous devrez alors indiquer quels sont vos objectifs et engagements au sujet de l’approvisionnement des « Minerais de conflits ». Les rôles et responsabilités doivent être déterminés afin de démontrer, aussi bien en interne qu’en externe, de votre engagement sur votre devoir de diligence. Une fois de plus, la transparence est importante : publiez votre politique d’approvisionnement des minerais sur votre site internet et mettez-la régulièrement à jour. 

  • CRÉER UN RAPPORT SUR VOTRE DEVOIR DE DILIGENCE (SI PERTINENT)

La nécessité de créer un rapport dépend de votre emplacement sur la chaîne d’approvisionnement et du volume quantifiable de vos ressources 3TG dans vos produits. En tant qu’importateur direct, vous avez l’obligation de faire un rapport annuel de ce type.

 

Conclusion

En plus des enjeux environnementaux et du respect des droits humains, le problème majeur des entreprises avec les « Minerais de conflits » est lié au manque de connaissance sur l’existence ou non de minerais 3TG dans la chaîne d’approvisionnement. 

Ce problème doit être abordé frontalement en analysant la composition de cette chaîne. Le guide de l’OCDE ainsi que le nouveau règlement européen l’imposent aux entreprises situées en amont, tandis que le Dodd-Frank act l’applique aux entreprises placées en aval de la chaîne d’approvisionnement. Ces réglementations ont pour vocation d’assurer une chaîne libre de « minerais de conflit » mais il faut malgré tout mentionner certaines lacunes dans leurs champs d’application.

 

***

Contactez les équipes France EcoVadis pour découvrir comment libérer votre chaîne d’approvisionnement de tout « minerais de conflit » 

 

A propos de l'auteur

Indra Lancien

Indra is a Junior Facilitator at Nexio Projects. She holds a Master’s degree in Global Business & Sustainability from the Erasmus University. Embedding socio-environmental considerations in business strategies is today more than ever important and Indra is happy to leverage her knowledge in the field to guide companies to this end. Always smiling and energetic, she is an open-minded and empathic member of the ESG rating & reporting team.

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