Les entreprises qui se montrent les plus responsables dans leurs relations avec les fournisseurs sont les entreprises qui se portent le mieux.
Peut-être est-ce parce qu’elles se portent bien qu’elles s’offrent “le luxe” de se montrer responsables… ou peut-être est-ce l’inverse ?
Hugues Poissonnier, Professeur à l’Ecole de Management de Grenoble et Directeur de l’Institut de Recherche et d’Innovation en Management des Achats (IRIMA), décrit lors d’une interview, le cercle vertueux qui commence avec le développement de pratiques plus responsables vis-à-vis des fournisseurs et le nouveau défi des équipes achats : en tant qu’acheteur-euse, coopérer avec ses fournisseurs est source de création de valeur et d’innovation.
Q : Responsabilité Sociétale des entreprises (RSE) et achats responsables ?
La RSE fait aujourd’hui de plus en plus partie des préoccupations centrales des entreprises. Au-delà de la RSE, on peut même évoquer un renouvellement de la vision qu’ont les entreprises de leurs missions et de la notion même de performance.
La RSE permet à la fois une montée en maturité des achats et ça c’est très important du point de vue de la place des achats dans l’entreprise mais également, qu’elle assure le succès et la résilience des organisations.
“On ne peut pas faire de vraie RSE sans démarche achats responsables”
On ne peut pas faire de vraie RSE sans démarche achats responsables : les achats représentent aujourd’hui en moyenne 60% du chiffre d’affaires des entreprises. S’intéresser uniquement à ce qui se passe à l’intérieur des murs de l’entreprise revient à développer une conception étriquée de la RSE. On a besoin d’intégrer beaucoup plus les impacts qu’ont les activités des entreprises sur toute leur chaîne d’approvisionnement. C’est ça qui justifie cette attention de plus en plus grande portée aux achats responsables. Pour que tout cela fonctionne, on a besoin de faire apparaître les critères RSE au moins à deux endroits : d’abord dans les appels d’offre, au niveau du cahier des charges. Ça, en général, c’est très bien fait. Cependant, il y a un deuxième endroit où ça doit apparaître, au niveau des outils de pilotage de performance.
On arrive très généralement à la volonté de développer des achats responsables avec un objectif de réduction des coûts. C’est un objectif très important qui mérite d’enclencher la démarche de beaucoup d’entreprises et d’organisations. Mais si l’on a que cet objectif-là, on passe à côté d’objectifs qui peuvent être beaucoup plus importants, des objectifs de réduction de coûts et même possiblement de création de valeur par les achats responsables.
En général, en achats responsables, l’objectif est avant tout de maîtriser et réduire un certain nombre de risques d’image : l’entreprise va se désengager de certains fournisseurs qui sont porteurs potentiellement de dérives si elle continue à travailler avec eux.
La vision consistant à réduire les coûts est beaucoup plus ambitieuse puisqu’on va penser TCO, Total Cost of Ownership, et réfléchir en coût global. On va s’apercevoir qu’on est beaucoup plus capable, en travaillant avec le fournisseur, en l’accompagnant, de réduire un certain nombre de coûts.
On peut même, si on est plus ambitieux, en travaillant avec le fournisseur et en collaborant mieux avec lui, être capable de développer de nouvelles innovations, de co-innover, de co-développer des produits.
A partir de là, on entre dans une vraie dynamique de création de valeur avec le fournisseur.
Q : Auriez-vous un exemple de ce virage managérial ?
Je prends l’exemple des compagnies aériennes, qui aujourd’hui n’achètent plus de pneus pour les avions pour atterrir, mais plutôt un nombre d’atterrissages. Ce faisant, on est capable de demander au prestataire, au fabricant de pneu, non pas de livrer un certain nombre de pneus sur l’année, mais plutôt un nombre de pneus qui va permettre d’assurer un certain nombre d’atterrissages. On renforce l’intérêt ici pour le fabricant de pneus de fabriquer des pneus beaucoup plus résistants et donc de réduire l’empreinte environnementale associée à cette consommation-là.
Les avantages pour l’acheteur comme pour le fournisseur finalement sont les avantages que l’on trouve dans l’économie de fonctionnalité. Quand on achète non pas un produit, mais ce à quoi il sert, on est dans cette économie de fonctionnalité. La fonction d’un pneu sur un avion est essentiellement d’atterrir et quand on est focalisé là-dessus, on est beaucoup plus capable ensemble, de trouver le meilleur produit, celui qui sera le moins impactant pour l’environnement, et qui sera aussi sans doute le moins cher.
Evidemment il pourrait y avoir un piège pour le fournisseur, mais facile à contourner : le fournisseur serait perdant s’il vendait moins de produits (puisque ses produits sont plus durables), mais précisément, ce qu’il va vendre, ce ne sont plus des produits, mais un nombre d’atterrissages. Le fournisseur va s’y retrouver tout en faisant des économies et son client va lui aussi faire des économies, c’est gagnant-gagnant.
Q : Qu’est ce qui incite selon vous les entreprises à s’engager davantage dans les achats responsables ?
Sans doute que la raison principale pour laquelle les acheteurs aujourd’hui ont besoin de se montrer plus responsables et de mieux collaborer avec leurs fournisseurs, c’est le besoin d’innover.
Aujourd’hui, plus une seule entreprise n’est capable d’innover toute seule dans son coin. On a tellement externalisé, on a tellement confié à d’autres ce que l’on faisait avant ces dernières années, qu’on a besoin aujourd’hui de ces autres, et notamment des fournisseurs, pour continuer à innover.
C’est un changement très important dont on prend de plus en plus conscience dans les entreprises. La création de valeur par les achats ne peut reposer que sur la capacité de collaborer davantage avec les fournisseurs, puisque c’est à cet endroit-là qu’on va pouvoir se distinguer des concurrents : “nos produits sont de meilleure qualité technique, sociale et environnementale parce que l’on a su mieux travailler avec les fournisseurs”.
Q : Quel est par voie de conséquence, le défi des équipes achats ?
Pour mieux travailler avec les fournisseurs finalement, il faut apprendre à devenir vis à vis d’eux le “client préféré”. C’est une nouvelle mission aujourd’hui confiée aux acheteurs et aux acheteuses :
“notre entreprise doit devenir le client préféré de non pas de tous les fournisseurs, mais de nos meilleurs fournisseurs”.
Pour réussir la démarche des achats responsables, il y a toute une série d’ingrédients à mettre en œuvre : Bien sûr les appétences des acheteurs qui sont très importantes, les compétences individuelles, organisationnelles et inter-organisationnelles, mais aussi les outils de pilotages, sans lesquels finalement le changement ne s’enracine pas dans la durée.
Et là les acheteurs ont un rôle très important pour être force de propositions sur des critères un petit peu plus larges que les simples “savings” ou gains sur achat, qu’on va continuer de mesurer. Ces nouveaux indicateurs peuvent être par exemple le taux de survie de fournisseurs en période de difficultés économiques, la satisfaction des fournisseurs, le nombre d’idées nouvelles en provenance de fournisseurs qui sont réellement mises en œuvre par l’entreprise.
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L’IRIMA (Institut de Recherche et d’Innovation en Management des Achats) a pour vocation d’anticiper les transformations de la fonction achats. Il participe ainsi à l’évolution de la fonction achats au sein des organisations partenaires et, plus globalement, via la diffusion des résultats de ses recherches, au sein de toutes les organisations. www.grenoble-em.com/irima
Propos recueillis par Annette Quincy EcoVadis, décembre 2018. Merci à Hugues Poissonnier.
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