L'adaptation au changement climatique n'est plus une option. Et c'est urgent.

March 11, 2022 Béatrice Héraud

Alerte climat ! le GIEC vient de publier un nouveau rapport centré sur les « impacts, l’adaptation et la vulnérabilité » de notre planète, de nos modes de vie et de production au changement climatique. Le changement climatique a déjà produit des dégâts irréversibles à l’ensemble des sociétés et de la nature, s’adapter, maintenant n’est plus une option. Décryptage. 

« J’ai lu beaucoup de rapport mais aucun comme ce nouveau rapport du GIEC sur le climat, un atlas de la souffrance humaine et une accusation accablante de l’échec du leadership climatique. Je connais des gens partout dans le monde qui sont anxieux et en colère. Je le suis aussi. Il est temps de transformer cette rage en action climatique », Antonio Gutierrez (SG de l’ONU)

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Qu’est-ce que ce nouveau rapport ?

  • L’an dernier, en plein mois d’août et arrivée de Messi au PSG, le GIEC a sorti le 1er volet de son rapport du 6ème cycle établit par le groupe de travail N°1 (WG1). Celui-ci portait sur les aspects scientifiques du système climatique et de l’évolution du climat.
  • Le rapport du groupe de travail N°2 (WG2) qui vient de sortir ce 28 février, cette fois en pleine guerre de l’Ukraine, s’occupe des questions concernant la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels aux changements climatiques, les conséquences négatives et positives de ces changements et les possibilités de s’y adapter.
  • Un troisième rapport est prévu en avril (WG3) qui est chargé d’évaluer les solutions envisageables pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ou atténuer de toute autre manière les changements climatiques.

 

Pourquoi l’adaptation est importante ?

L’adaptation doit être comprise comme notre capacité à « réduire les risques climatiques actuels et futurs, à y résister mais aussi à anticiper les changements liés au dérèglement climatique », Alexandre K.Magnan, chercheur à l’IDDRI et co-auteur du rapport du WG2 du GIEC. 

  • Alors que le changement climatique s’accentue et s’accélère, l’atténuation est nécessaire, tout comme l’adaptation. Les deux démarches se complètent et se renforcent. Même si on arrêtait d’émettre des gaz à effet de serre maintenant, le changement climatique en cours et ses conséquences ne s’arrêteront pas avant plusieurs décennies.
  • La multiplication des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations excède déjà les seuils de tolérance des végétaux et des animaux, provoquant la mortalité massive d’arbres, de coraux et d’autres espèces, souligne le GIEC. Or ces phénomènes météorologiques extrêmes surviennent simultanément, avec des « répercussions en cascade de plus en plus difficiles à gérer ».
  • La moitié de l’humanité vit déjà dans des contextes très vulnérables au changement climatique (Environ 3,3 à 3,6 milliards). Et des millions sont déjà confrontées à des risques d’insécurité alimentaires et hydriques extrêmement fort, notamment en Afrique, Asie, Amérique centrale et Amérique du Sud ainsi que dans les petites îles et en Arctique. Les personnes et les systèmes les plus vulnérables sont touchés de manière disproportionnée.
  • « À ce jour, les progrès en matière d’adaptation sont inégaux et les écarts se creusent entre l’action engagée et ce qui est nécessaire pour faire face aux risques croissants », selon le nouveau rapport. Ces écarts sont particulièrement prononcés au sein des populations à faible revenu.
  • S’adapter maintenant, c’est renforcer notre capacité à réduire et gérer les conséquences du changement climatique, des investissements encore plus lourds à plus ou moins long terme. C’est éviter de perdre toujours plus de vies humaines, de biodiversité et d’infrastructures. Mais c’est aussi renforcer notre sécurité alimentaire, notre bien-être, la capacité des écosystèmes à réguler le climat et à se régénérer, à organiser un développement économique plus juste et soutenable.

 

Les vulnérabilités

Le rapport met en exergue nos vulnérabilités face au changement climatique :

  • La vulnérabilité de l’homme et des écosystèmes sont interdépendantes. Les modèles actuels de développement, non durable, augmentent l’exposition des écosystèmes et des personnes aux risques climatiques. Pour le montrer le rapport fait largement référence aux Objectifs de développement durable.
  •  Avec un réchauffement planétaire de 1,5 °C, le monde sera confronté à de multiples aléas climatiques inéluctables au cours des 20 prochaines années. Le dépassement, même temporaire, d’un tel niveau de réchauffement entraînera des conséquences graves supplémentaires, dont certaines seront irréversibles. Les risques pour la société augmenteront, y compris pour l’infrastructure et les établissements humains sur les côtes de basse altitude. 127 risques clés (sur la biodiversité, l'eau, notre santé - physique et mentale- ou notre nourriture notamment) sont d'ores et déjà identifiés.
  •  Le changement climatique a déjà modifié les écosystèmes terrestres, d'eau douce et océaniques à l'échelle mondiale. Des impacts forts sont aussi observés dans certaines régions où la littérature est abondante (ex : Méditerranée)
  • Chaque dixième de degré évité compte. L’ampleur et le rythme du changement climatique et des risques associés dépendent fortement des mesures d’atténuation et d’adaptation à court terme. Si des actions sont prises sur le court terme cela permettra de limiter les pertes et dommages (mais pas de toutes les éviter).
  • Nos systèmes de production, nos modes de vie urbains et notre santé sont déjà bien touchés comme le montre le tableau (les - montrent l'augmentation des impacts négatifs liés au changement climatiques; le +/- l'augmentation des effets négatifs et positifs). Un autre tableau montre les effets sur les écosystèmes (P°9 du résumé pour décideurs).

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Les pistes d’une adaptation efficiente :

Parmi les mots clés d’une adaptation réussie :

  • COOPERATION & COMPLEMENTARITE

« Les solutions seront plus efficaces si elles allient les connaissances scientifiques, les compétences technologiques et les savoirs autochtones et locaux. Faute d’un développement durable et résilient face au changement climatique, l’avenir de l’humanité et de la nature sera sous-optimal », explique le GIEC. Cela passe par la mobilisation politique mais aussi par la mobilisation du secteur privé, qui est appelé à agir vite et fort, notamment en matière de financements puisque les besoins en financement de l'adaptation seront supérieurs à ceux prévus dans le précédent rapport (2014). Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterrez, a ainsi demandé au secteur financier de cesser son soutien aux énergies fossiles. Quant aux entreprises, elles doivent agir à la fois sur l’atténuation et l’adaptation. Or, « seules 44 % d'entreprises mènent et déclarent actuellement leur analyse des scénarios climatiques », selon EcoAct.

L’entreprise « qui ne comprend pas et ne gère pas dès aujourd’hui les risques climatiques posés à ses chaînes de valeur ne pourra pas prospérer à l'avenir ou être poussée à la décarbonisation rapide requise pour limiter le réchauffement à 1,5°C », Ilian Moundib, ingénieur consultant en stratégie climat chez EcoAct (société du groupe Atos)
  •  TRANSFORMATION

L’adaptation peut être « incrémentale » (L’objectif principal est de maintenir l’état de la nature et l’intégrité d’un système à une échelle donnée) ou « transformationnelle » (nécessite de changer les éléments fondamentaux d’un système). « Passer d'une adaptation progressive à une adaptation transformationnelle peut aider à surmonter les limites douces de l'adaptation », c'est à dire les limites où des solutions existent, même si elles ne sont pas encore disponibles, souligne le GIEC. Or, si le rapport fait état des progrès dans la planification et la mise en œuvre des mesures d’adaptation dans tous les secteurs et toutes les régions, il alerte sur la tendance observée à prioriser le court terme, ce qui risque de pêser sur notre capacité à nous transformer aussi fortement qu'il est nécessaire. Car l’adaptation transformationnelle et systémique exige une planification et une mise en œuvre à long terme.

 

  •  JUSTICE SOCIALE

Les solutions efficientes intégreront les groupes « marginalisés » (population autochtones, populations pauvres, vulnérables, etc.), prioriseront l’équité et la justice et réconcilieront les intérêts différents des parties, souligne le GIEC lors de sa conférence de presse. Derrière la justice sociale, il y a notamment la question des pertes et dommages, qui sont un des points de crispations traditionnels des COP sur le climat. Il s’agit en effet que les pays occidentaux, responsables du changement climatique, financent et accompagnent les pays en développement qui souffrent des aléas climatiques pour lesquels il est impossible de s’adapter, en guise de réparation.

 

  • SOLUTIONS BASEES SUR LA NATURE

Toutes les solutions d’adaptations ne se valent pas (maladaptation). Si les adaptations basées sur les technologies ne sont pas exclues, le rapport du GIEC souligne aussi l’importance des solutions basées sur la nature ou les écosystèmes. Par exemple : la création de zones tampons dans lesquelles la mer irait se loger en cas de tempête et de submersion dans les zones littorales plutôt que la création de digues. Ou la végétalisation de dunes pour lutter contre l’érosion côtière. Ces solutions sont aussi plébiscitées pour les villes avec des îlots de verdure qui rafraichissent la température ou l’agriculture urbaine. « En restaurant les écosystèmes dégradés et en préservant efficacement et équitablement 30 à 50 % des habitats terrestres, océaniques et d’eau douce, la société profitera de la capacité qu’a la nature d’absorber et de stocker le carbone et nous accéderons plus vite à un développement durable », souligne ainsi Hans-Otto Pörtner, le coprésident du Groupe de travail II du GIEC. Reste que « la volonté politique et un financement adéquat sont essentiels.» Cependant, ces solutions ne suffiront pas car les écosystèmes sur lesquels elles se basent sont eux même vulnérables au changement climatique...

Un tableau montre particulièrement bien les effets « collatéraux » sur les objectifs de développement durable des différentes solutions d’adaptation.

 
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Les limites de l’adaptation

Si le GIEC essaie de faire passer le message qu’il est encore possible de s’adapter, notre marge de manœuvre est faible :

  •  Même une adaptation efficace ne peut empêcher toutes les pertes et tous les dommages
  • Au-dessus de 1,5°C certaines solutions naturelles peuvent ne plus fonctionner.
  •  Au-dessus de 1,5°C, le manque d'eau douce pourrait signifier que les habitants des petites îles et ceux qui dépendent des glaciers et de la fonte des neiges ne peuvent plus s'adapter.
  • À 2 °C, il sera difficile de cultiver plusieurs cultures de base dans de nombreuses zones de culture actuelles

Et la multiplication des conflits liés au changement climatique ?

L’une des vulnérabilités liées au changement climatique, c’est bien sûr la question des conflits. Le changement climatique renforce déjà les tensions existantes comme on a pu le voir déjà il y a dix ans lors du printemps arabe ou de la guerre en Syrie, ajoute toutefois le chercheur en géopolitique à l’université de Liège. Pour le lien avec le conflit ukrainien, je vous renvoie à la rubrique "La voix des experts" en fin de newsletter.

Mais « Il faut faire attention à ne pas dépolitiser les conflits : famine et changement climatique ne dédouane pas les gouvernements de leurs responsabilité », souligne François Gemenne, co-auteur du chapitre 8 du WGII du Giec, directeur de l’observatoire des migrations environnementales Hugo, et co-auteur du livre La Guerre Chaude (Gallimard). Dans le résumé pour les décideurs, le GIEC est donc très prudent. S’il mentionne bien sa contribution aux crises humanitaires et migratoires, son impact sur les conflits est amenuisé : « dans certaines régions, les événements météorologiques et climatiques extrêmes ont eu un impact négatif sur leur durée, leur sévérité ou leur fréquence, mais l'association statistique est faible ». « A court terme, les conflits et migrations seront « davantage motivés par les conditions socio-économiques et la gouvernance que par le changement climatique », indique le résumé.

Si le GIEC est si prudent, « Ce n’est pas par manque de travaux mais parce que les gouvernements ne veulent pas les entendre !, souligne François Gemenne. Le GIEC est bien un groupement d’experts intergouvernemental et non international ! Le résumé des décideurs est soumis à l’approbation des Etats or certains pays comme la Chine bloquent certains sujets comme celui-ci ». Le contexte de la guerre en Ukraine n'a sans doute pas non plus aidé...

 

Le mot de la fin

«Les éléments scientifiques sont sans équivoque: le changement climatique menace le bien-être de l’humanité et la santé de la planète. Tout retard dans l’action mondiale concertée nous ferait perdre un temps précieux et limité pour instaurer un avenir viable», selon Hans-Otto Pörtner, coprésident du WG2 du rapport du GIEC. 

 

A propos de l'auteur

Béatrice Héraud

Béatrice Héraud, Journaliste pigiste et formatrice sur la transformation durable de l'économie, après 12 ans chez Novethic, elle publie depuis janvier 2022 une newsletter bimensuelle sur l’actualité de la transition écologique et sociale sur LinkedIn : Le Grand écart

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