Le débat double/simple matérialité enflamme la communauté RSE/ESG

December 13, 2023 Béatrice Héraud

La communauté RSE de LinkedIn a ce mois-ci été marqué par les passes d’armes sur la CSRD (la directive européenne sur la transparence des entreprises autour des impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance) autour de la « double matérialité » (les impacts de l’entreprise sur l’environnement et la société). Un débat d’experts qui peut paraître lunaire au commun des mortels peu au fait de ce jargon mais qui traite pourtant d’enjeux très réels pour intégrer les enjeux environnementaux et sociaux dans les business models des entreprises. Résumé en quelques posts :

Acte 1 : le 10 octobre, Emmanuel Faber publie une tribune dans Le Monde (« La guerre des normes n’aura pas lieu ») puis un post LinkedIn où il plaide une fois encore pour un reporting sur la seule matérialité financière des enjeux environnementaux. Concrètement, il s’agit de faire remonter aux investisseurs la façon dont les problématiques environnementales comme le changement climatique peut affecter l’activité de l’entreprise. C’est la position de l’ISSB (International Sustainability Standards boards), une instance qu’il dirige et qui entend fixer un standard international sur le sujet pour les entreprises, dans la lignée de l’IFRS. Reporter sur l’impact des entreprises sur la société au sens large est non seulement trop « ambitieux » mais illusoire.

Acte 2 : Le post et la tribune n’échappent pas à Alexandre Rambaud, chercheur spécialisé sur la triple comptabilité et défenseur de la double matérialité. Dans un post, il écrit : « Que la Double Matérialité ne soit pas une panacée est évident, elle ne résoudra rien par elle-même - personne n'a jamais prétendu le contraire. Mais elle pose les bases pour avancer vers un respect d'une approche scientifique des impacts écologiques. Par contre, la matérialité simple ne remplit même pas la stricte condition d'une intégration de critères minimums pour permettre une prise en compte d'une durabilité sur ces mêmes bases scientifiques. L'optimum de changement climatique sur la base d'une simple analyse risque-opportunité de la valeur actionnariale ne conduit pas à un changement climatique compatible avec l'Accord de Paris »

Etape 3 : Le débat s’emballe. Jean-Marc Jancovici entre dans la danse en expliquant dans un post que beaucoup d’indicateurs environnementaux liés à l’impact de l’activité de l’entreprise sur l’environnement sont en réalité « autant d'informations permettant de mieux apprécier le risque que l'activité ne puisse se poursuivre dans les mêmes conditions : ça doit pouvoir intéresser l'actionnaire ! ». Plusieurs autres experts prennent position comme Paul Allard d’Impak Analytics qui explique : « Seulement 4 % du chiffre d’affaires total du STOXX 600 est aligné sur les #SDGs à mi-parcours. Nous avons également constaté que les entreprises, sans une approche de double matérialité, n’ont pas réussi à identifier certaines de leurs #impacts les plus importantes, et les conséquences financières vont être majeures. Nous avons non seulement besoin d’ambition, mais aussi d’incitations beaucoup plus fortes à atteindre grâce à des normes rigoureuses, comme le souligne le #CSRD. La complexité ne doit pas être une excuse pour l’inaction, mais plutôt une incitation à une approche ambitieuse mais progressiste ». Dans un autre post, la consultante RSE Pauline Roulleau tente elle de clarifier le débat en expliquant les différences entre la CDSRD européenne et l’ISSB/IFRS, américaine en prenant l’exemple du climat : dans le cas de l’IISB, l’entreprise devrait fournir : « des informations utiles aux investisseurs sur les risques et opportunités liés au climat et susceptibles d’impacter sa performance financière, en fixant ses propres objectifs climat ». Dans le cadre CSRD, elle devra en plus « rendre compte de son action sur le changement climatique au regard des objectifs de l’Accord de Paris (1,5°C) et de la réglementation européenne (-55% de GES à 2030 et neutralité à 2050) et donc publier son plan de transition pour l’atténuation du changement climatique aligné avec l'objectif de l'Accord de Paris de 1,5°C ». La bulle de discussion soulevée finit même par susciter un décryptage dans Les Echos le 23 octobre ! « J'ai voulu expliquer que si pour faire-valoir un projet qu'on a appelé trop vite double matérialité, on décrie et ne considère pas la matérialité économique, alors on se trompe », y assure Emmanuel Faber. Pas sûr que l'argument ait réussi à convaincre.

Ce débat a eu une forte résonance au parlement européen où une motion portée par un groupe d’eurodéputés (Renew / Parti populaire européen) issus de la droite et de l’extrême droite Allemande et Tchèque demandait la révision des normes ESRS chargées d’assurer la traduction concrète de la CSRD au motif qu’elles seraient trop lourdes et trop complexes pour les entreprises. Une demande finalement rejetée. Ces normes entreront bien en vigueur le 1er janvier 2024.

A propos de l'auteur

Béatrice Héraud

Béatrice Héraud, Journaliste pigiste et formatrice sur la transformation durable de l'économie, après 12 ans chez Novethic, elle publie depuis janvier 2022 une newsletter bimensuelle sur l’actualité de la transition écologique et sociale sur LinkedIn : Le Grand écart

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