Jocelyn Husser, Professeur des Universités, IAE Aix-Marseille Graduate School of Management – Aix-Marseille Université and Stéphane Ouvrard, Professeur associé en Finance/Comptabilité, Kedge Business School
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Ce 1er juin, les débats autour d’une nouvelle directive s’ouvrent en plénière au Parlement européen, la directive CSDD, pour corporate sustainibility due diligence. L’idée : obliger les grandes entreprises à prévenir les risques sociaux et environnementaux liés à leurs opérations. Lancé en février 2022 par la Commission européenne, le projet a depuis été validé par le Conseil de l’Union européenne, même si des ONG accusent les États membres d’avoir rendu le texte moins contraignant que la version initiale. Il a reçu un avis favorable le 25 avril dernier de la commission parlementaire « Affaires juridiques ».
L’idée a été pour partie reprise à la France qui, depuis mars 2017, s’est posée comme précurseur en matière de droit de vigilance. Unique au monde, la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, autrement appelée « loi sur le devoir de vigilance des multinationales », a inspiré de nombreux pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Norvège.
Sont concernées dans le texte français les entreprises donneuses d’ordre dont le siège social est fixé sur le territoire français, de plus de 5000 salariés en leur sein et dans leurs filiales directes ou indirectes. L’obligation touche l’ensemble de la chaîne de valeur : partenaires commerciaux, sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elles entretiennent une relation commerciale établie. Dans ce cadre, l’entreprise se voit conférer une responsabilité pour le futur, ex ante. Elle ne doit pas réparer mais faire. Il s’agit par exemple de détecter et prévenir les dommages systémiques.
Cette loi se traduit en particulier par la mise en place d’un plan de vigilance annuel, en collaboration avec les parties prenantes. Il doit comporter des mesures de prévention telles qu’une cartographie des risques, des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou des fournisseurs et des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves. Doivent aussi être prévus un mécanisme d’alerte et un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre pour évaluer leur efficacité. La loi impacte ainsi fortement le fonctionnement des services achats des grandes entreprises et a pour objectif de favoriser la diffusion des pratiques responsables socialement et environnementalement (RSE) chez les fournisseurs.
Bruxelles reprend la loi française
Le texte européen viserait, lui aussi, à favoriser un comportement durable et responsable des entreprises en matière de droits de l’homme et d’environnement tout au long de leurs chaînes de valeur mondiales. La directive, une fois adoptée par le Parlement et retranscrite par les vingt-sept (le délai pour le faire est de deux ans), permettra de tenir les entreprises de l’UE pour civilement responsables si une violation des droits de l’homme ou de la protection de l’environnement a été commise par un fournisseur avec lequel elles travaillent de manière permanente ou régulière.
Les règles s’appliqueraient à terme (les seuils seraient abaissés progressivement) aux entreprises employant plus de 500 personnes et réalisant un chiffre d’affaires net supérieur à 150 millions d’euros à l’échelle mondiale, ainsi qu’à d’autres sociétés plus petites (seuils de 250 personnes et de 40 millions d’euros de chiffres d’affaires) quand elles exercent dans des secteurs à fort impact. Il s’agirait notamment du textile, de l’agriculture, des industries alimentaires ou de l’exploitation des ressources minérales.
Les entreprises de pays tiers sont aussi concernées quand leur chiffre d’affaires est réalisé dans l’UE. Pour que la loi trouve à s’appliquer, ces critères devraient être remplis sur deux exercices consécutifs.
Un moyen de diffusion de la RSE
Le devoir de vigilance devient ainsi un outil juridique pour la société civile et dont les ONG pourront se saisir, comme c’est déjà le cas en France. Historiquement limitée à certains secteurs d’activité très réglementés, la banque et l’assurance par exemple, la compliance (conformité) s’étend ainsi à toutes les activités. La directive permettra aux entreprises de diligenter des audits de compliance sur toute leur chaîne d’approvisionnement.
C’est une nouvelle mission qui incombera aux services achats des grandes entreprises. Elles pourront être conduites à faire appel à des spécialistes, cabinets d’avocats ou de conseils, pour vérifier les clauses des contrats à signer avec leurs fournisseurs. Des pratiques d’achat responsable fondées sur des exigences en matière de protection de l’environnement et de respect des droits humains chez les fournisseurs seront à déployer.
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Par la même se diffusent des normes RSE par la relation fournisseurs. Des relations de confiance et durables avec les fournisseurs renforcent le capital relationnel, objet de nos travaux. Le gouvernement français l’a d’ailleurs intégré et s’est saisi du sujet en mettant en place un label « Relations fournisseurs et achats responsables ». C’est dans ce cadre que les acheteurs peuvent juger de façon plus fine et plus pertinente les pratiques déviantes en matière de RSE comme le montrent nos recherches récentes.
Dans la lignée de la Loi Sapin 2 sur la corruption du 9 décembre 2016, l’objectif est d’offrir aux employés et aux parties prenantes un dispositif complet leur permettant de faire connaître des comportements contraires à l’éthique. Avec la loi Sapin 2, les lanceurs d’alertes s’étaient notamment vus octroyer un véritable statut protecteur, inexistant en France auparavant.
On assiste avec cet ensemble de législations à un renforcement des exigences de compliance des donneurs d’ordre tout au long de leur chaîne de valeur. Au niveau européen, le devoir de vigilance pourrait devenir une sorte de « license to operate » pour de nombreux fournisseurs avec un nouvel acteur clef, le service achat des entreprises. Le droit de la compliance, plus généralement, va devenir une boussole centrale pour les grandes entreprises. Tous les textes votés en Europe depuis le Pacte vert se complètent et visent un objectif commun : renforcer la durabilité et faire progresser la transition verte. Comme l’écrit la Commission européenne à propos du projet CSDDD :
« La directive aidera l’UE à réaliser la transition vers une économie plus verte et neutre pour le climat, telle que décrite dans le pacte vert pour l’Europe et les objectifs de développement durable des Nations unies. »
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