La déréglementation économique fête ses 40 ans. Même si le terme fondateur de la mondialisation ouvrit vers de nouvelles richesses, il n’en fut pas moins cause d’énormes difficultés. Depuis 1977, les politiques cherchant à contrecarrer les effets négatifs de la «derégulation» n’ont cessé d’alterner entre laissez-faire et protectionnisme. Certains pensaient que pour limiter le dumping social et les dégâts sur l’environnement, il fallait ériger des barrières aux frontières. D’autres au contraire préconisaient d’accorder encore plus de liberté au commerce transnational misant sur le surplus de prospérité pour traiter les dommages collatéraux. Malheureusement, le protectionnisme et l’ultra libéralisme sont tous deux aveugles. L’un favorise systématiquement les acteurs d’une nation, au risque de mettre en avant des entreprises qui proposent des produits plus chers ou moins performants sans que celles-ci ne soient forcément irréprochables (la vertu et les compétences ne sont pas toujours du côté où on les attend). L’autre ne voit pas les ravages causés par les conditions de travail parfois moyenâgeuses ni ceux infligés au milieu naturel. Il espère l’intervention de la «main invisible» du marché alors qu’on sait –pour ceux qui en doutent encore –qu’elle n’existe pas comme l’ont rappelé amèrement la tragédie du Rana Plaza en 2013 ou l’explosion de Tianjin en 2015.
Entre ces deux types de cécité émerge une 3ième voie, étroite, mais la seule qui vaille la peine d’être défendue si l’on espère endiguer les dérives sociales et environnementales tout en renvoyant dans leur caverne les conséquences désastreuses du nationalisme économique ou du capitalisme sauvage.
“Cette 3ième voie, c’est l’ambition d’offrir aux clients les meilleures marchandises tout en garantissant des modes de fabrication et de livraison inattaquables. Ce n’est ni une nationalité ou encore moins l’absence de règles qui l’autoriseront, c’est sur les méthodes de management novatrices qu’il faut compter.”
La 3ièmevoie est possible en intégrant au sein même de chaque acte d’achat le coût social des biens et des services. Tenir compte des externalités négatives tout au long de la chaîne pour qu’au final le consommateur devienne un citoyen-consommateur, pour qu’il n’achète plus sans savoir mais en conscience. Cependant, la 3ième voie est confrontée à d’importants défis. Ce sont avant tout les données sur les tentaculaires réseaux d’approvisionnement qui manquent. Heureusement grâce aux ONG qui sensibilisent, comme RH Sans Frontières et son guide pour comprendre le travail forcé, grâce aux ONG qui dénoncent comme Amnesty International révélant la problématique du travail des enfants dans le secteur de l’huile de palme, ou encore grâce aux ONG qui attaquent comme l’association Sherpa poursuivant Samsung sur des infractions supposées en matière de droits de l’homme chez ses sous-traitants, nous en savons maintenant plus sur les ressorts de l’esclavage moderne.
Les nouvelles technologies apportent aussi des perspectives prometteuses: smartphones interrogeant les ouvriers sur leur bien-être au travail, drones contrôlant les engagements en termes de non-déforestation, transactions «blockchain» envisagées pour certifier l’origine des denrées, rating social à base d’intelligence artificielle. Le législateur est également convoqué dans ce combat, dans les pays à bas coûts comme au Bangladesh en tentant d’instaurer des conditions de sécurité acceptables mais aussi dans les pays industrialisés à l’instar de l’union européenne obligeant désormais les entreprises à travers la directive sur le reporting extra-financier à rendre compte sur leurs actions pour assurer des sources d’approvisionnement sûres.
“La loi sur le devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordres dépasse le simple reporting, et vise à mettre les grandes entreprises françaises sur la 3ième voie en leur astreignant des procédures de contrôle.”
La 7ième édition du baromètre HEC/EcoVadis souligne que celles-ci sont déjà de mise chez la majorité des grands départements Achat : sur les 120 multinationales interrogées, 88% possèdent déjà un code de conduite fournisseurs ou des clauses contractuelles liées à la responsabilité sociale et environnementale (RSE) et 62% déploient des programmes d’audits. Cette loi aidera les entreprises françaises à s’aligner sur les meilleures pratiques. Ici devoir de vigilance rime avec performance managériale.
“En demandant aux acheteurs de rééquilibrer leur sourcing vers des partenaires plus responsables, le législateur renforcera l’attrait des PME tricolores car sur la RSE elles sont en avance !”
L’étude Médiateur des Entreprises-EcoVadis montre que 60% des PME françaises ont une RSE considérée comme adaptée au regard de leurs enjeux alors qu’elles ne sont que 53% dans le reste de l’OCDE et 29% dans les BRICS. Au final, réglementer les processus achat revient à accroître simultanément la compétitivité des grandes entreprises et des PME françaises.
Le devoir de vigilance est de fait un protectionnisme intelligent, un protectionnisme qui trie le bon grain de l’ivraie, qui tire vers un mieux disant social les organisations quel que soit leur pays plutôt que de les conforter dans leurs pratiques discutables. La montée inquiétante du néonationalisme exacerbé qui surgit outre atlantique et outre-manche est de nature à faire mentir Montesquieu qui écrivait que «l’effet naturel du commerce est de porter à la paix». Inversons la tendance en entraînant l’idée du devoir de vigilance au niveau européen pour construire une alternative progressiste forte. Lançons la mondialisation sur la 3ième voie avant qu’il ne soit trop tard.
Auteur : Sylvain Guyoton, Vice-Président Recherche EcoVadis
Cet article a été originellement publié dans l’édition du 17 février 2017 du quotidien Le Monde, dans la rubrique Idées, sous le titre Mondialisation : « Une troisième voie, étroite mais ambitieuse, est possible ».
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