Directive CS3D : le devoir de vigilance voté, les directions achats des entreprises vont prendre du galon

May 14, 2024 FR ECOVADIS FR

Stéphane Ouvrard, Professeur associé en Finance/Comptabilité, Kedge Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article.

Le Parlement européen a définitivement adopté le mercredi 24 avril 2024 la directive sur le devoir de vigilance dite CS3D pour corporate sustainibility due diligence. Après de nombreuses négociations, allers-retours, volte-face, le vote des eurodéputés marque selon Lara Wolters, rapporteure au Parlement de cette directive, « une étape importante pour la conduite responsable des entreprises et un pas considérable vers la fin de l’exploitation des personnes et de la planète ».

Le texte vise à responsabiliser les grandes entreprises vis-à-vis des atteintes aux droits humains et à l’environnement mais aussi leurs filiales, sous-traitants ou fournisseurs. Le devoir de vigilance va impacter ainsi fortement les chaînes de valeur. Après approbation par le Conseil européen et publication au journal officiel de l’UE, les États membres auront deux ans pour retranscrire le texte en droit national. L’application se fera progressivement, d’abord pour les plus grandes entreprises (plus de 5 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 1 500 millions d’euros) à partir de 2027. Les dernières (celles de plus de 1 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 450 millions d’euros) seront concernées en 2029.

Ce texte s’inspire de la loi française sur le devoir de vigilance de 2017, qu’il approfondit même si de manière moins ambitieuse que prévue initialement. En s’articulant avec d’autres réglementations européennes récentes (CSRD notamment), il confère un rôle toujours plus stratégique à certaines directions opérationnelles, en particulier la direction achat.

Plus ambitieux que la loi française, mais moins que prévu…

Historiquement, c’est la France qui la première avait promulgué une loi sur le devoir de vigilance en 2017. Les Pays-Bas et l’Allemagne s’en étaient déjà inspirés. À l’époque ce texte s’appliquait aux entreprises de plus de 5 000 salariés. Simple obligation de moyens, ce texte était peu contraignant même si des actions menées par des acteurs de la société civile étaient toujours possibles. La loi française imposait notamment la mise en place d’un plan de vigilance annuel établissant une cartographie des risques et des mesures de préventions.

La directive européenne va plus loin pour plusieurs raisons. Tout d’abord en abaissant les seuils. Les règles relatives au devoir de vigilance s’appliqueront aux entreprises et aux sociétés mères européennes employant plus de 1 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros, ainsi qu’aux franchises dans l’UE réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 80 millions d’euros si au moins 22,5 millions d’euros ont été générés par des redevances. Elles concerneront également les entreprises non européennes, les sociétés mères et les franchises de pays tiers atteignant les mêmes seuils de chiffre d’affaires dans l’UE.

Ensuite, le contenu du nouveau texte est plus précis, plus détaillé et plus contraignant que le texte français. Il oblige notamment les entreprises concernées à adopter un plan de transition conforme à l’Accord de Paris sur le changement climatique. Surtout, en cas de non-respect de leurs obligations en matière de droits humains et environnementaux sur toute leur chaîne de valeur (approvisionnement, fabrication, distribution), les grandes entreprises pourront être condamnées à une amende pouvant atteindre 5 % de leur chiffre d’affaires net mondial.


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Les débats autour de la CS3D ont été nombreux et animés tant sur le champ d’application que sur le contenu de la directive. Les seuils sont finalement plus élevés qu’envisagé au départ. Dans le texte initial qui avait fait l’objet d’un accord tripartite mi-décembre 2023, était prévue une application aux entreprises de plus de 500 salariés dont le chiffre d’affaires mondial dépassait 150 millions d’euros. Étaient également concernés les groupes européens de plus de 250 salariés avec un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros, dont 50 % réalisé dans des secteurs à risques (textile, agriculture, extraction de minerais, etc.).

Par ailleurs, le devoir de vigilance européen devait inclure le secteur financier. Les négociations finales entre états membres en ont décidé autrement. Un texte de compromis proposé par la présidence belge a été approuvé le 15 mars 2024 dans lequel les institutions financières ont été exclues du champ d’application de la CS3D.

En ce qui concerne le contenu du texte lui-même, les aménagements opérés portent essentiellement sur la suppression de l’obligation de lier la rémunération variable des dirigeants au respect d’objectifs en matière d’émission de CO2. Les obligations de diligence raisonnable ont été réorientées vers les seuls partenaires commerciaux directs et sur l’adoption obligatoire de plans de transition climatique conformes aux exigences de la CSRD.

Des outils complémentaires

Au niveau organisationnel, la directive sur le devoir de vigilance va obliger les entreprises à mieux cerner les activités de leurs fournisseurs et sous-traitants en matière de respect des droits humains et de protection de l’environnement. Des plans de vigilance vont devoir être établis dans le cadre d’une politique de gestion des risques renforcée. Cette approche est similaire à ce que met en place la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) entrée en vigueur au 1er janvier 2024.

Cette directive impose aux entreprises entrant dans son champ d’application de faire apparaître un rapport de durabilité détaillé au sein de leur rapport de gestion. Celui-ci doit suivre un principe de double matérialité, impact de l’activité des entreprises sur l’environnement et réciproquement, impact des modifications de l’environnement sur l’activité de l’entreprise. Il repose sur les normes dites ESRS (European Sustainability Reporting Standards). Elles sont 12 et se répartissent en quatre catégories : des normes générales (2), des normes environnementales (5), des normes sociales (4) et une norme de gouvernance. Il doit d’ailleurs intégrer des informations sur les impacts, risques et opportunités matériels survenant dans les relations commerciales directes et indirectes dans les chaines de valeur amont et aval.

Les deux outils, plan de vigilance et rapport de durabilité, semblent d’ailleurs complémentaires. Le rapport de durabilité sera vraisemblablement précieux pour qu’une entreprise puisse étudier ce qu’il se passe sur l’ensemble de la chaîne de valeur comme l’y invite la CS3D. La politique achats d’une entreprise sera ainsi nouvellement structurée en intégrant la dimension RSE. Dans ce cadre, le plan de vigilance pourra servir d’outil de management des risques dans la chaîne de valeur.

Les directions achats poursuivent leur mue

La direction achat des entreprises poursuit ainsi sa montée en importance. La crise liée au coronavirus avait testé la résilience des entreprises comme nous l’avions observé dans nos travaux : il était clairement apparu que les entreprises les plus résilientes étaient celles qui s’approvisionnaient à temps, fabriquaient à temps, livraient à temps, facturaient à temps et encaissaient à temps. Autrement dit, celles qui avaient une performance organisationnelle solide en particulier grâce à leurs directions Supply Chain et achats.

Avec l’arrivée de la CS3D, le rôle de la fonction achats va poursuivre sa mue. Ces départements, dans les grands groupes, ont déjà intégré la durabilité dans leurs relations fournisseurs par la signature de chartes d’achats responsables. La RSE va devenir toujours plus incontournable dans leur stratégie. Le devoir de vigilance va devenir un ustensile juridique et stratégique au service des acheteurs.

Ce devoir de vigilance est la dernière pierre angulaire au projet européen d’une économie juste et durable. Comme la « raison d’être » et la société à mission prévues par la loi Pacte de 2019 en France, il constitue un outil juridique au service d’un engagement des entreprises en matière sociétale. Reste à définir dans chaque pays de l’UE quelle autorité nationale sera chargée de faire respecter ce devoir de vigilance.The Conversation

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