La CSRD marque l’entrée dans l’économie d’impact

November 27, 2024

L’économie telle que nous la connaissons aujourd’hui fonctionne sur une fiction : la disponibilité illimitée et la gratuité des ressources ou de la mauvaise utilisation des ressources.

Vous étiez un armateur et vous preniez le risque de faire voguer des pétroliers mal entretenus qui ont provoqué des marées noires ? La collectivité payait la réparation des nuisances – pour celles qui étaient réparables.

Vous étiez un chef d’entreprise peu soucieux de la santé de ses salariés et vous génériez un climat de travail toxique ? L’assurance maladie prenait en charge les dommages causés à la santé des salariés.

Mais les parties prenantes, qui subissent ces impacts – ce que les économistes appellent des externalités négatives – sont de plus en plus intolérantes et demandent désormais aux agents économiques d’être beaucoup plus attentifs aux effets qu’ils génèrent sur la société, leur environnement, leurs écosystèmes.

La notion d’impact se distingue d’ailleurs de celle d’externalité par son intentionnalité : les impacts se construisent (lorsqu’ils sont positifs) ou se combattent (lorsqu’ils sont négatifs). Selon le Global Impact Investing Network (GIIN), l’investissement à impact est une approche financière qui vise à générer un impact social ou environnemental positif en plus d’un rendement financier. Cette approche s’inscrit dans un cadre articulé autour de trois principes, selon la définition proposée en 2021 par France Invest, le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) :

  • L’intentionnalité : la recherche explicite d’un impact social ou environnemental positif.
  • L’additionnalité : l’engagement financier ou extra-financier de l’investisseur pour maximiser l’impact de l’entreprise bénéficiaire.
  • La mesurabilité : la mise en place d’objectifs sociaux ou environnementaux, un suivi des résultats et une évaluation continue.

En mars 2021, 60 sociétés de gestion françaises spécialisées dans l’Impact investing, réunies par le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) et France Invest, se sont accordées sur cette définition commune et ont abouti à 9 grands principes[1].

Ces 3 principes sont généralisables et ont été repris, par exemple, par le Comité de suivi des Jeux Olympiques de Paris 2024 : « Il est crucial de distinguer tous les impacts évalués et de s’assurer qu’il s’agit d’effets additionnels et de véritables changements pour les Parisiens, les Franciliens et les Français, c’est-à-dire d’effets qui n’auraient pas été produits sans l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques » (voir : « La politique d’impact des Jeux olympiques de Paris 2024 : médailles d’or et de plomb »).

On observe le développement des entreprises dites « à impact » (ou dans la finance, des « fonds à impact », de « l’investissement à impact ») ; on constate le succès des contrats à impact social (ou social impact bonds), qui procèdent d’une hybridation croissante des logiques financières et sociales. On salue la création de l’impact tank qui se définit comme « le think tank de l’impact », on voit se multiplier dans les entreprises, les postes de « Chief Impact Officer » et l’appellation « rapport de développement durable » détrôné par le plus moderne « rapport d’impacts ».

Le terme de « métier à impact » opère un glissement, du monde du care (médecins, infirmiers…) vers celui de la RSE et du développement durable : les emplois à impact, dans la RSE, la finance responsable ou l’Economie sociale et solidaire (ESS) ont le vent en poupe. On parle même de métiers à impact positifs, ce qui laisse supposer qu’il en existe d’autres à impact négatif…

Un nouvel indice boursier apparaît, l’Impact 40, qui se pose en alternative du CAC 40. Du côté des organisations patronales, le Mouvement Impact France, créé en 2020, revendique 15.000 adhérents, ce qui reste loin des 190.000 du Medef ou des 230.000 de la CPME, mais commence à peser[2]. Bienvenue dans l’économie d’impact ! 

 

« Impact is the new normal »

Terra Nova avait commencé, en préparation de ce qui allait devenir la « loi Pacte », à travailler sur « l’entreprise contributive », une forme d’entreprise attentive à diminuer ses impacts négatifs et à augmenter ses impacts positifs[3]. La CSRD est le système métrique de cette entreprise. Elle lui propose des normes d’indicateurs et des méthodologies de reporting robustes afin de suivre et piloter ses impacts.

La loi Pacte visait d’ailleurs à concilier le but lucratif et la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux, consacrant ainsi ce concept d’impact. Je note d’ailleurs que le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », publié en mars 2018, qui a ouvert la voie à la loi Pacte, proposait d’appeler ce qui est devenu le « Comité de mission » dans le schéma de gouvernance de la société à mission, le « Comité d’impact »[4].

L’entrée dans l’économie d’impact traduit l’intégration de la RSE et du Développement durable dans le fonctionnement ordinaire des entreprises. « Impact is the new normal » ! L’ISO 26.000 (norme sur la RSE internationalement reconnue, finalisée en 2010) définit la RSE comme la « Responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement ». La Commission européenne adopte une définition proche : « Responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets (impacts dans la version anglaise) qu’elles exercent sur la société »[5].

La CSRD marque le fait qu’il n’y a plus de séparation entre le « business as usual » d’un côté et la RSE de l’autre, qui en serait le supplément d’âme : business et RSE sont désormais intégrés. Les lecteurs fidèles de ce blog reconnaissent cette approche : je l’ai définie en 2011 sous l’appellation de « RSE transformative » (voir : « Management & RSE : pourquoi ce blog ? »).

La Plateforme RSE a conduit un travail de fond sur cette notion d’impact, qui a fait l’objet d’une publication en février 2023[6]. Elle s’attelle, dans un premier temps, à définir le concept en s’appuyant sur les différents textes officiels le mentionnant. Parmi eux, la norme ISO 26.000 ou encore la directive européenne 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. C’est finalement la définition de l’Efrag (Groupe consultatif européen sur l’information financière, en anglais European Financial Reporting Advisory Group) qui retient les faveurs de la Plateforme RSE. L’organisme de normalisation européen définit l’impact d’une entreprise comme l’effet que cette dernière a ou peut avoir sur l’économie, l’environnement et les populations. Il faut ensuite qualifier ces impacts, qui peuvent être avérés ou potentiels, négatifs ou positifs, à long ou court terme, intentionnels ou non, réversibles ou irréversibles. On reconnaît ici la matrice méthodologique de la CSRD (qui était encore dans les limbes à cette époque), laquelle s’appuie sur les ESRS (European Sustainability Reporting Standards) … élaborés par l’Efrag.

Le verbe impacter, anglicisme dérivé du mot impact, issu du substantif latin impactum (frapper contre, jeter) ou du verbe latin impegere (heurter), a supplanté ses équivalents français de concerner, affecter, toucher, avoir des conséquences, influencer. Selon l’historien Christian Delporte, il est longtemps resté cantonné au monde des affaires, mais a maintenant envahi le discours public et la politique depuis 2008[7]. Là où le subtil ‘affecter’ laisse la place au libre arbitre, le redoutable ‘impacter’ s’accompagne de la force de l’inévitable, d’une connotation physique et matérielle. Selon le « Guide de la mesure d’impact social », l’impact représente « l’ensemble des changements positifs ou négatifs, attendus ou inattendus, et durables engendrés par les activités mises en place et attribuables à ces activités »[8].

En cohérence, on retrouve ces caractéristiques dans la définition des études d’impact, qui doivent « exposer avec précision l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées », comme le prévoit l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.

 

Les ODD de l’ONU : précurseurs d’impacts

L’économie d’impact se traduit par une volonté de trouver des consensus larges pour orienter les efforts des entreprises vers des initiatives à fort impact. Une manifestation particulièrement visible en a été donnée par la structuration des 17 objectifs de développement durable (ODD), décidés lors de la conférence de Rio+20 en 2012, puis adoptés par les 193 pays membres des Nations Unies en 2015 et entrés en vigueur en janvier 2016. Ils s’intègrent dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies et représentent les grands enjeux planétaires que la communauté internationale se donne pour objectif d’améliorer à l’horizon de 2030. Les Etats mais aussi les entreprises s’y réfèrent de plus en plus souvent pour orienter les politiques publiques pour les premiers, et leurs stratégies de RSE et Développement durable pour les secondes. Ils visent à mettre fin à l’extrême pauvreté, à combattre les inégalités, l’exclusion et les injustices, à préserver l’environnement et lutter contre le changement climatique, à garantir la paix et la sécurité…

Extrait du Dossier CSRD en ligne sur le site Management & RSE > La CSRD est un outil de management de la performance globale. Merci à Martin Richer pour cet extrait.

A propos de l'auteur

Martin Richer

Diplômé d’HEC, Martin Richer a effectué la plus grande partie de son parcours dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. Il a notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision puis a rejoint le Groupe Alpha en 2003 et intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, Martin Richer exerce ses activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Plus d’informations sur Management & RSE.

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