Acheter responsable, un casse-tête pour les collectivités locales

November 10, 2020 The Conversation

Cet article a été rédigé par Olivier Gayot, doctorant en économie au Clersé (UMR 8019) à l’Université de Lille, sous la direction de Bruno Boidin, professeur d’économie (Université de Lille)The Conversation

Olivier Gayot, doctorant en sciences économiques, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Acheter responsable, un casse-tête pour les collectivités locales

Olivier Gayot, Université de Lille

La commande publique représente environ 15 % du produit intérieur brut français. L’introduction progressive de critères sociaux et environnementaux permet d’envisager les achats publics non plus seulement comme un acte juridique et administratif, mais comme un véritable levier de déploiement de politiques de développement durable.

Cependant, il existe encore aujourd’hui des « points de frictions », dans la mise en œuvre de politiques d’achats publiques responsables (APR) qui a énormément de mal à se généraliser et reste encore aujourd’hui sous-utilisé.

Ces difficultés dépendent en grande partie de la rigidité du cadre législatif de la commande publique qui entre souvent en contradiction avec des politiques de développement durable locales et ambitieuses.

Une lente évolution du cadre législatif

Depuis 2014, toute collectivité territoriale disposant de plus de 100 millions d’euros de budget achat annuel doit recourir à l’achat public responsable (APR) et publier son schéma des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPAPSER).

Les marchés publics, qui sont des contrats onéreux entre un acheteur et un prestataire, sont soumis à un cadre législatif particulièrement complexe.

Depuis les années 1990, et jusque dans les années 2010, les achats publics responsables étaient quasiment impossibles. Si les premières tentatives d’achat public avec clauses sociales apparaissent de manière épisodique dans quelques villes au début des années 2000, jusqu’en 2014 la plupart des marchés étaient construits sur un rapport « critère technique – coût du marché », que l’on pourrait simplifier en parlant de rapport « coût-avantage ».

Ce rapport a par ailleurs été entériné par l’abrogation du code des marchés français pour lui préférer jusqu’en 2018 le code de la commande publique européenne, qui a institué trois règles de concurrence, mais qui a desserré le lien entre les critères d’attribution d’un marché et l’objet du marché. Le code actuel consiste en une transcription du code européen en droit français.

Les trois critères de concurrence sont : la transparence des marchés, la liberté d’accès au marché et l’égalité de traitement entre les candidats.

Ces trois critères sont censés permettre l’efficacité des marchés et la bonne gestion des deniers publics, sans définir ni « l’efficacité » d’un marché ni ce qu’est une « bonne gestion » des deniers publics.

Une injonction contradictoire

Dans leur traduction au sein des marchés publics le critère d’égalité de traitement entre les candidats interdit aux collectivités d’introduire des critères relatifs à la situation géographique de l’entreprise pour favoriser les entreprises locales.

L’argument est similaire pour l’utilisation de labels écologiques ainsi que pour la langue des prestataires de service, même quand cela revêt des questions de sécurité sociale et de sécurité sur les chantiers.

Les critères de transparence et liberté d’accès au marché se traduisent quant à eux par de nombreuses procédures de publication des marchés, assurant ainsi la mise en concurrence la plus grande possible des entreprises et des structures associatives en fonction du type et du montant estimé du marché.

Lors d’une commande publique, la collectivité acheteuse doit préciser l’objet du marché. Il s’agit d’une demande exprimée par l’acheteur dans un marché qui doit correspondre à un besoin émis par la collectivité.

Néanmoins, la traduction de ce besoin en demande, et la rédaction de cette demande dans le langage technique et juridique des marchés peut entraîner des situations où les biens ou services achetés sont différents du besoin exprimé au départ par un service.

Le lien avec l’objet du marché impose aux acheteurs de ne spécifier des critères relatifs qu’au bien ou au service acheté. En d’autres termes, lors de l’achat d’un stylo, l’acheteur ne peut rédiger que des critères relatifs à la couleur de l’encre du stylo (noire, bleue…), ou au matériau de son emballage (métal, plastique…) mais il ne peut pas demander que l’entreprise qui produit ces stylos respecte l’égalité salariale homme-femme, ou applique une politique de recyclage des déchets plastiques.

Ainsi les marchés publics sont contraints à des injonctions contradictoires. Les acheteurs doivent respecter des critères de concurrence drastiques (qui peuvent remettre en cause l’intégralité de la procédure de passation du marché s’ils ne sont pas respectés) et ils doivent dans le même temps favoriser des politiques publiques de développement durable et leur déploiement sur leur territoire.

Dans ce cadre législatif, il devient alors complexe de mettre en place des politiques d’achat ambitieuses. Les premiers essais d’achats dans les années 2000 avec des critères environnementaux ou sociaux ont d’ailleurs nécessité une montée en technicité particulière des acheteurs.

Néanmoins, il existe plusieurs outils à disposition des agents qui prennent en compte ces contraintes.

Du « coût-avantage » au coût global

En effet, depuis 2014, les acheteurs peuvent réaliser des sourçages (identification de fournisseurs) avant de rédiger leurs marchés pour déterminer l’origine des produits ou la qualité des services. Ils peuvent également évaluer le montant du marché à l’aide d’un raisonnement en coût global (CG).

Le CG permet de trancher avec une évaluation classique du montant du marché, en prenant en compte non seulement le coût d’achat, ce qui correspond au montant classique, mais également celui de son transport, de son utilisation et de sa destruction.

Par exemple, lors de la construction d’un bâtiment cela se traduit par un CG qui évalue le prix du terrain, des matériaux et de leur acheminement, le coût de l’utilisation de ce bâtiment et de sa destruction ou de sa valeur à la revente après utilisation.

Néanmoins, le sourçage et le CG sont deux outils extrêmement chronophages.

Dans le cas du sourçage les critères de concurrence impliquent que les acheteurs contactent toutes les entreprises en capacité de répondre à l’appel d’offres, sous risque de se mettre en situation d’irrégularité vis-à-vis de l’égalité de traitement entre les candidats. Ainsi le sourçage ne s’utilise qu’en cas de marché dont le montant s’avère sélectif (construction d’autoroute par exemple).

De même, le CG nécessite un niveau de technicité et de connaissance du produit très avancé. Pour un acheteur, déterminer l’intégralité des coûts liés au transport et à l’utilisation d’un service ou d’un bien peut s’avérer particulièrement technique.

Malheureusement, lors de sa mise en place en 2014, et de son introduction dans le code de la commande publique en 2019, l’obligation de rédaction et de publication d’un schéma relatif aux APR dans les collectivités territoriales ne s’est pas accompagnée d’une politique de formation des acheteurs, ou d’évolution de carrière.

Il s’est même doté en 2019 de deux nouvelles obligations : la création d’indicateurs permettant de contrôler l’avancement des objectifs de développement durable présents dans le schéma et le soutien à des démarches d’économie circulaire.

L’augmentation des critères de responsabilité à adosser aux marchés publics traduit à la fois un regain d’intérêt pour les marchés publics comme acte de consommation spécifique et comme levier de politiques de développement durable, mais également une contradiction profonde entre le droit européen et national et les capacités d’action des collectivités locales et de leurs agents.

Cette contradiction est accentuée par le manque de formations disponibles pour les acheteurs des collectivités locales qui doivent alors se former en interne ou à l’aide d’intervenants externes sur leur temps de travail ou leur temps personnel.

Or, les conditions nécessaires à la réussite d’un marché ambitieux et innovant en termes de régulation tiennent en deux éléments : le montant dont dispose les agents pour réaliser leurs marchés, et la capacité d’innovation de ces agents au regard de leur connaissance du tissu économique relatif à leur marché.

Il semble donc aujourd’hui plus que nécessaire pour poursuivre la politique de développement durable ambitieuse entamée par la mise en place des APR de généraliser la formation des acheteurs territoriaux, mais également d’introduire plus de souplesse dans le cadre législatif et le lien avec l’objet du marché, ce qui pourrait permettre aux collectivités de favoriser des initiatives innovantes et de soutenir l’emploi et leur tissu économique local.

 

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