Selon le Bureau européen de l’environnement (BEE), l'UE lance une "grande désintoxication" de l'industrie chimique

May 11, 2022 Claire Stam

Cet article a été initialement publié dans Le Grand Écart la newsletter de Béatrice Héraud à découvrir le vendredi, une semaine sur deux.

L'UE lance une "grande désintoxication" de l'industrie chimique

 

Il s’agit de "la plus grande interdiction de produits chimiques toxiques jamais réalisée" dans le monde. Elle annonce une prochaine "grande désintoxication" de l’Union européenne, se félicite le Bureau européen de l’environnement (BEE). De quoi s’agit-il et pourquoi cet enthousiasme d’ordinaire si rare ? Le BEE réagit à la publication par la Commission européenne le lundi 25 avril 2022 d‘une feuille de route qui dévoile les substances chimiques devant prochainement faire l’objet de mesures de restriction dans le cadre du règlement Reach, le texte européen qui fait référence sur la toxicité des produits chimiques.

Le BEE explique que ce qui fait la différence – et l’efficacité de cette feuille de route – c’est l’abandon par la Commission d’une approche consistant à réglementer les substances chimiques une par une. Impossible à tenir lorsque un nouveau produit chimique est développé au niveau industriel toutes les 1,4 seconde (sic), souligne l’ONG. La méthode présentée en début de semaine consiste au contraire à appliquer les restrictions par groupe de produits. Cela devrait « mettre fin à une pratique industrielle consistant à modifier légèrement les formulations chimiques pour échapper aux interdictions », poursuit le BEE. Elle élargira ainsi « considérablement l’impact de la réglementation », estime l’ONG qui anticipe la régulation d’environ 4 000 à 7 000 substances chimiques d’ici à 2030. C’est-à-dire à un rythme bien plus élevé que celui adopté par les institutions européennes depuis l’adoption du règlement Reach en 2006.

Cette liste a été préparée par la Commission dans le cadre de la stratégie en matière de produits chimiques pour le développement durable, elle-même dérivée du pacte vert européen et sera régulièrement révisée et mise à jour. Les molécules se trouvant dans le viseur vont être évaluées par l’Echa (Agence européenne des produits chimiques) en vue de mesures de restrictions tant dans les produits de consommation que dans les produits professionnels.

Sans surprise, l’industrie chimique ne partage pas le même enthousiasme. Ainsi, « le CSS (Chemicals Strategy for Sustainability) sous sa forme actuelle met un grand point d'interrogation sur l'avenir des produits chimiques en Europe », a déclaré au Financial Times Martin Brudermüller, président du European Chemical Industry Council (Cefic) et directeur général du géant allemand de la chimie BASF, en décembre dernier. Les groupes chimiques européens ne s'opposent pas aux ambitions du plan, assure-t-il mais cela risque de peser sur un poids lourd de l’économie européenne, alerte-t-il. La stratégie de l'UE en matière de produits chimiques pour le développement durable menace de faire disparaître 70 milliards d'euros des revenus de l’industrie chimique européenne, dit-il…Celle-ci réalisant un chiffre d'affaires de 543 milliards d'euros par an.

 

Les groupes de substances dans la liste noire :

-  le Chlorure de polyvinyle et ses additifs : C’est le fameux PVC, l'une des formes de plastique les plus problématiques pour la santé humaine et l'environnement, et le moins recyclable de tous les plastiques. En Europe, le PVC est le quatrième type de plastique le plus utilisé, avec une production d’environ 6,5 millions de tonnes par an. Le PVC est utilisé dans une très large gamme de produits, allant des jouets et des produits gonflables (piscines, accessoires de sports nautiques, trampolines) aux emballages et aux matériaux en contact avec les aliments, tels que les emballages alimentaires, en passant par les arbres de Noël artificiels, les textiles tels que le "cuir végétalien", les meubles, les chaussures, les matériaux de construction, etc.

- PFAS : Les substances perfluoroalkyles et polyfluoroalkyles (PFAS) sont quasi impossible à éliminer : on les appelle les "produits chimiques éternels". La grande majorité de la population mondiale est déjà contaminée...dès la naissance. Ces produits chimiques très persistants s'accumulent ensuite dans l'organisme des humains, des animaux et de l'environnement. On estime qu'environ 100 000 sites en Europe sont à l'origine de la pollution de l'environnement par les PFAS, dont beaucoup sont situés à proximité des zones urbaines. Les volumes de production enregistrés en Europe varient de 33 000 à 334 000 tonnes par an. Ils sont utilisés dans une grande variété de produits de consommation, des emballages de plats à emporter et d'autres produits alimentaires aux revêtements antiadhésifs, des vêtements antitaches et imperméables aux crèmes solaires et aux cosmétiques, et même au fil dentaire.

- les Bisphénols, y compris le BPA. Les bisphénols sont des perturbateurs endocriniens utilisés en très grandes quantités dans les plastiques tels que le PVC, le polycarbonate et les résines époxy. Dans l'UE, entre 100 000 et un million de tonnes sont produites chaque année. Les bisphénols sont présents dans un large éventail de biens de consommation, tels que les équipements sportifs, les CD, les DVD, les pièces automobiles, les emballages alimentaires, ou encore la vaisselle en plastique réutilisable. Les bisphénols perturbent les systèmes hormonaux, réduisent la fertilité et impactent les fœtus. Des études scientifiques suggèrent que le BPA pourrait être lié à l'obésité, au diabète et pourrait nuire à notre système immunitaire.

- les Retardateurs de flamme : Les retardateurs de flamme bromés (RFB) sont des mélanges de produits chimiques ajoutés à des produits variés, notamment pour une utilisation industrielle, afin de les rendre moins facilement inflammables. Ils sont couramment utilisés dans des plastiques, des textiles et des équipements électriques et électroniques. On les soupçonne d’être responsables de l’hypothyroïdie et de troubles du développement du système nerveux (autisme, hyperactivité, déficit d’attention, trouble de comportement, etc…).

- les produits CMR présents dans les articles de soin aux enfants : Dans ce groupe, on recense 1 775 substances chimiques connues ou suspectées de provoquer un cancer, une mutation génétique ou de nuire au système reproducteur (CMR). Leurs incidences connues sur la santé : cancer, mutations héréditaires telles que la mucoviscidose, l'hémophilie et la drépanocytose, ainsi que toxicité pour les organes reproducteurs (y compris les déformations génitales masculines), entraînant des troubles de la capacité ou de la faculté de reproduction et du développement. On les retrouve dans les tétines pour bébés, jouets de dentition, produits de bain, produits de soins corporels généraux (tels que savons, shampooings ou crèmes pour bébés), produits d'alimentation (tels que ustensiles de cuisine ou couverts pour enfants), etc. Est-il besoin de rappeler ici que les enfants sont particulièrement vulnérables aux produits chimiques nocifs pour la santé ?

- Formaldéhyde et autres produits chimiques rentrant dans la production de couches à usage unique : Des dizaines de produits chimiques dangereux ont été identifiés dans les couches, notamment le formaldéhyde, les HAP, les PCCD/F, les DL-PCB et les PCB. Or, plus de 90 % des familles dans la plupart des pays de l'UE utilisent des couches pour bébés à usage unique et un bébé peut utiliser 3 800 à 4 800 couches pendant sa petite enfance. La plupart de la pâte à papier utilisée pour la fabrication des couches pour bébés provient des États-Unis et est hautement contaminée, un problème connu de l'industrie, souligne le BEE. Il s'agit de la même pâte à papier utilisée dans les produits menstruels et les couches pour incontinence. Le formaldéhyde est un cancérigène, un mutagène et un sensibilisateur cutané; les HAP sont cancérigènes et perturbateurs endocriniens; les dioxines sont cancérigènes, reprotoxiques et perturbateurs endocriniens et les PCB sont cancérigènes et reprotoxiques. Toute exposition aux HAP, aux dioxines et aux PCB est considérée comme dangereuse.

A propos de l'auteur

Claire Stam

Claire Stam est une journaliste spécialisée sur les affaires européennes, le climat (elle a couvert toutes les négociations internationales sur le climat depuis la COP21 à Paris en 2015), l’énergie et l’environnement. En poste à Bruxelles depuis mars 2018, elle a été rédactrice en chef des bureaux de Paris et Berlin pour le média en ligne Euractiv. Avant de s’installer à Bruxelles, elle a également été en poste à Paris, Francfort et Berlin.

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