Panel CS3D lors de l’événement Sustain 2024 d’Ecovadis : premier retour à chaud

March 21, 2024 KSAPA .org

Farid Baddache est intervenu dans le panel sur la CS3D lors de l’événement Sustain 2024 d’Ecovadis. Suite au nouveau coup de théâtre intervenu le vendredi 15 mars avec le vote du nouveau texte par le Conseil -au prix de concessions drastiques- nous partageons ici sa vision de la CS3D enrichie des échanges avec Greta Koch, Conseillère politique et attachée de presse au Parlement européen. 

"La CS3D ouvre la voie à un devoir de vigilance en voie d’être imposée aux entreprises éligibles après un parcours parlementaire compliqué. Le surplus de tracasseries administratives et surcharge de responsabilité qui seraient imposées sont des arguments avancés par les anti-CS3D. Est-ce vrai? Lors d’un panel offert par Ecovadis lors de son événement international annuel Sustain rassemblant des centaines de professionnels des achats dans les entreprises, Ksapa a pu contribuer à ces discussions et partager un point de vue tiré de nombreuses années d’expériences et projets sur ces questions en discussion avec Greta Koch, Conseillère politique et attachée de presse, bureau d’Axel Voss, député européen, Parlement européen."

1. Au fait, pourquoi la CS3D?

Les Etats dont la France, la Suisse, la Belgique ou le Canada par exemple signent des Accords Internationaux permettant de protéger les droits humains des citoyens et des employés dans les entreprises. Différentes Conventions de l’Organisation Internationale du Travail par exemple. Au sens strict, cela veut dire que les acteurs économiques opérant depuis les pays signataires de ces Accords se doivent d’en respecter l’application.

Dans ce contexte, l’effondrement, le 24 avril 2013, du bâtiment Rana Plaza, près de Dacca au Bangladesh, a fait plus de 1 100 morts et se classe parmi les catastrophes les plus meurtrières de l’histoire du travail. Cette tragédie se distingue radicalement par ses causes et révèle, au-delà des très bas salaires ou des mauvaises conditions de travail, les formes extrêmes de production qui se cachent derrière la mondialisation. Car ici, pas de coup de grisou comme dans les mines, pas d’explosion comme dans les poudreries, pas de dégagement de gaz toxique comme à Bhopal. L’horreur, ce fut la banale chute d’un immeuble à la manière des maisons pauvres construites à la va-vite et sans permis pour assurer la sous-traitance en cascade de commandes de différentes marques internationales du secteur textile opérant avec des entreprises dont les sièges se trouvaient dans différents pays signataires de nombreuses conventions internationales de fait non respectées.

En réponse, différentes initiatives réglementaires se sont mises en place : Modern Slavery Act britannique (2015), devoir de vigilance français (2017), Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz allemand (2019)… Ces différentes initiatives réglementaires – et le site de Ksapa regorge d’informations sur d’autres initiatives similaires pour en savoir plus (Californie, Canada, Mongolie…), ont répondu à différents débats nationaux visant à renforcer la vigilance des acteurs économiques en matière de respect des droits humains pour leurs collaborateurs et sous-traitance. En partant d’une bonne intention, ces différentes initiatives ont créé, rien que dans l’espace européen une mozaique réglementaire plutôt directionnellement convergente, mais différente dans le détail de son périmètre d’application, rendant l’application complexe pour les entreprises.

En réponse, Ksapa travaille au quotidien avec différents acteurs économiques du monde entier – grandes entreprises, sociétés de gestions, investisseurs institutionnels – pour apporter l’expertise et les méthodologiques permettant de revenir aux standards structurant ces initiatives réglementaires (UN Guiding Principles on Business & Human Rights, Standards RBC OCDE, Accords de Paris sur le climat désormais).

  • Disposer de cartographies de risques au titre des droits humains, santé-sécurité et environnement que l’entreprise ou l’actif fait porter à des populations comme les collaborateurs, les sous-traitants ou encore d’autres types de victimes de telles violations potentielles (consommateurs, riverains…)
  • Construire des plans d’actions clarifiant des responsabilités au sein des organisations, mais aussi entre des organisations susceptibles de partager la charge de la responsabilité
  • Concevoir puis déployer des programmes sur les territoires visant à réduire les risques identifiés, auprès des populations. Ces programmes sont déployés selon des schémas réplicables, pensés pour faire de la volumétrie et appuyés par des outils digitaux assurant la mesure d’impact démontrant la réduction effective de risques identifiés

Reste que le corpus réglementaire d’application est fragmenté et que le nombre d’entreprises engageant ce type de démarches reste marginal. Quand il s’agit par exemple de clarifier un partage de responsabilité entre acteurs économiques, l’absence d’un cadre supranational réglementaire consensuel ne facilite pas la prise de conscience permettant d’assurer la juste contribution de tous les acteurs économiques.

Dans ce contexte, la CS3D a été pensée comme un outil réglementaire européen créant des règles communes clarifiant les obligations de chacun autant que la charge attendue de chacun. Loin d’un casse tête administratif, la CS3D est donc venue comme un levier de clarification des rôles et actions attendues progressivement par tout un écosystème d’acteurs économiques européens entre eux et vis-à-vis de leur sous-traitance.

2. Au fait, à quoi ca sert d’appliquer la CS3D?

Le monde des affaires aime parler d’agilité et de proactivité. Il faut innover, anticiper les besoins du consommateur, détecter avant les concurrents les opportunités de marges nouvelles sur les produits. Il faut savoir avant tout le monde et en tirer le maximum dans l’amélioration de son modèle d’affaires et politiques managériales.

Quand le Rana Plaza arrive, se découvre en même temps combien les acheteurs ne font pas leur travail et n’appliquent pas ces principes d’agilité et de proactivité. La base du travail de l’acheteur, c’est de savoir dans quel tissu industriel il confie son travail pour comprendre sur quels principes le fournisseur va assurer une production dans la qualité, les coûts et les délais attendus. En confiant des productions effectuées dans des systèmes complexes de chaînes de sous-traitance en cascade on imagine bien que l’acheteur a bien une idée du prix auquel il achète sa commande. Mais qu’il n’a aucune idée de la capacité des fournisseurs à garantir les délais et la qualité. L’insalubrité rend le respect des délais aléatoire. La sous-traitance en cascade rend la dilution de savoir faire du cahier des charges technique problématique pour la qualité.

Ainsi, avec la CS3D se pose certes avant tout la question éthique d’une mondialisation qui se doit de respecter les vies humaines. Mais avec la CS3D se pose aussi la question managériale de base : pourquoi l’acheteur devrait être proactif pour faire du management et trouver des fournisseurs intéressants, mais il ne devrait pas tout autant être proactif pour éviter d’avoir à gérer des Rana Plaza qui sont catastrophiques pour sa chaîne d’achats à tous les niveaux : humains, financiers notamment.

Donc la CS3D offre désormais un cadre réglementaire qui ne fait qu’encourager les entreprises en général, et les acheteurs en particulier, à faire leur travail de manière proactive :

  • Cartographier des risques portés sur les écosystèmes gravitant dans et autour de la chaîne de valeur
  • Questionner la manière dont les processus achats sont susceptibles de mieux gérer ces risques dans la sélection des fournisseurs, gestion des commandes, engagement des fournisseurs à progresser et faire à leur tour progresser leur sous-traitance
  • Rendre compte et encourager les autres parties prenantes (Etats et autorités, autres entreprises notamment) à appréhender les risques et contribuer à les réduire à leur niveau également.

3. Est-ce vrai que la CS3D viendrait alourdir la responsabilité des entreprises concernées vis-à-vis de leurs chaînes de valeur?

C’est la principale critique faite à la CS3D et aux réglementations nationales du même esprit. En fait, on peut aborder cette critique de 2 manières :

  • Soit on dit qu’effectivement il y a un problème compliqué, donc autant ne rien faire de manière proactive et gérer des crises quand elles arrivent. La réponse pénale qui peut venir par exemple en cas de manquements graves associés à l’insuffisance de moyens mis en oeuvre pour assurer la sécurité et le respect de droits humains peut être certainement disuasive. Donc cette réponse n’a aucun sens
  • Soit on dit qu’une loi permet d’offrir un cadre réglementaire engageant progressivement tous les acteurs des chaînes de valeur à exercer leur propre responsabilité. Alors la responsabilité n’est pas portée uniquement par l’entreprise du CAC40 éligible à la CS3D, mais à tout un tissu de PME exerçant des les filières. Plus la CS3D est ambitieuse, mieux c’est pour les entreprises concernées.

Ksapa travaille sur des chaînes de valeur et des filières internationales au-delà de l’Union Européenne. Se pose évidemment la question de savoir en quoi des PME basées en Inde ou au Brésil devraient se sentir concernées par la CS3D ? Tout est question d’argumentaire et de manière d’approcher les sujets – montrer en quoi les risques sur les droits humains viennent grêver le tryptique qualité / coûts / délais. La CS3D en tant qu’initiative réglementaire européenne apporte aussi un poids de conformité important puisque des entreprises hors UE désireuses de continuer à faire des transactions avec des entreprises basées dans l’UE doivent progressivement démontrer leur compréhension et mise en application des standards portés par la CS3D (UN Guiding Principles on Business & Human Rights, Accords de Paris).

> La CS3D devient ainsi un levier de compétitivité pour les PME du Sud Global…

4. En quoi la CS3D vient dont créer un surplus de charge administrative pour les entreprises concernées?

Parler de surcharge administrative qui serait portée par la CS3D dans un contexte où elle ne se fait que l’écho d’autres initiatives réglementaires, c’est un peu fort de café.

  • Plus de 50,000 entreprises dans l’Union Européenne sont progressivement sous le périmètre de la CSRD. La CSRD impose une double matérialité comme base de divulgation d’informations ESG. La double matérialité comporte un volet de matérialité d’impact qui s’appuie sur les mêmes standards OCDE et Nations Unies déjà évoqués pour se mener à bien. Cet exercice mené dans le cadre de la CSRD permet largement d’adresser les attendus portés ensuite par la CS3D.

  • L’ Allemagne et la France représentent déjà à eux seuls plus de 42% du PIB de l’Union Européenne et ont des lois nationales auxquelles les entreprises éligibles à la CS3D doivent déjà de conformer. Là encore, ce n’est donc pas la CS3D qui créé un surplus, mais elle arrive en prolongement d’autres initiatives déjà relativement bien installées.

Conclusions

La discussion tenue le long du panel sur la CS3D lors de l’événement Sustain 2024 d’Ecovadis a été riche d’enseignements. Les échanges ont permis d’explorer les différents arguments s’opposant à la CS3D pour montrer au contraire la pertinence de cet outil réglementaire permettant de clarifier et faciliter le travail des entreprises en général, et des populations d’acheteurs en particulier dans l’exercice leur responsabilité et d’influence auprès de leurs pairs et de leurs filières. Travailler sur ces questions implique d'apporter méthodologies, expertises, et outils afin de clarifier les risques à appréhender, organiser un plan d’action avec comme objectif d'engager des filières dans des schémas en accélérant la décarbonation dans des schémas inclusifs. 

A propos de l'auteur

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Ksapa est une entreprise à mission. Animés par la question de l’impact, ses équipes fournissent aux investisseurs et aux entreprises des solutions innovantes et évolutives afin d’accélérer leur implication dans la réalisation des Objectifs de Développement Durable 2030 prioritaires pour leurs activités. KSAPA construit des modèles économiques opérationnels plus résilients, plus inclusifs et plus compétitifs. Cette mission se décline en trois dimensions : le conseil stratégique, la conception et le management de solutions d’investissement d’impact et la diffusion d’idées dans le cadre du débat public.

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