Supply chain management : où sont les femmes ?

November 10, 2020 The Conversation

Hoareau Emilie, Maître de conférences en Sciences de gestion, Systèmes d'Information, Université Grenoble Alpes (UGA)Blandine Ageron, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA) et Ludivine Chaze-Magnan, Maître de conférences , Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Supply chain management : où sont les femmes ?

Hoareau Emilie, Université Grenoble Alpes (UGA); Blandine Ageron, Université Grenoble Alpes (UGA) et Ludivine Chaze-Magnan, Université Grenoble Alpes (UGA)

Historiquement, le domaine de la logistique est un métier « d’hommes ». Cet a priori est encore une réalité pour certaines activités (notamment le transport, où elles ne sont que 2 %).

Néanmoins, nous assistons ces dernières années à un mouvement de fond de féminisation, notamment avec le développement du Supply Chain Management (SCM, ou gestion de la chaîne logistique étendue) qui couvre les activités de management stratégique tout au long de la chaîne logistique (du 1er fournisseur au client final et au consommateur).

Ainsi, selon les données de l’Insee, l’emploi féminin a augmenté de 3 % entre 2008 et 2014, plus rapidement que dans d’autres secteurs, pour atteindre 17 % des effectifs.

Le SCM, des métiers au féminin ?

Enseignants-chercheurs à l’université, nous assumons depuis plusieurs années des responsabilités pédagogiques et enseignons en Master 2 MCL (Management de la chaîne logistique) à Grenoble IAE et en Licence professionnelle Logistique et pilotage des flux à l’IUT de Valence.

Dans le cadre de ces activités, nous avons été étonnés des parcours de carrières de nos diplômées et notamment de leur sous-représentation à des postes de top management. Cette première impression a été étayée par des données récoltées entre 2011 et 2020 auprès de nos étudiants et maîtres d’alternance.

En effet, si les formations sont en grande partie composées d’étudiantes, les maîtres d’alternance, c’est-à-dire les personnes en entreprise chargées de suivre les étudiants, restent en majorité des hommes. Or, l’arrivée constante sur le marché du travail de femmes formées au SCM aurait dû modifier la proportion hommes/femmes parmi les tuteurs en entreprise.

Tableau 1 : Étudiants et Maîtres d’apprentissage du Master 2 MCL (Management de la chaîne logistique) de 2011 à 2021, effectifs et proportion. Auteur, Author provided

Le tableau ci-dessus présente le nombre et la proportion d’étudiants formés et de maîtres d’alternance dans le Master 2 MCL de Grenoble IAE. En 10 ans, la proportion d’étudiantes suit une progression assez nette, passant de 52 % en 2011-2012 à 68,42 % en 2020-2021.

Dans le même temps, les managers en entreprise chargés du suivi de ces étudiants restent en grande majorité des hommes, malgré une progression de l’effectif féminin. Or les femmes formées dans le cadre de ce diplôme sont pourtant amenées à occuper des postes à responsabilités, ouverts au suivi d’alternance. La forte féminisation des étudiants du master n’influe que partiellement l’accès au statut de maître d’alternance.

Ces chiffres suscitent la curiosité bien qu’ils n’offrent qu’une vue limitée de la représentation des femmes dans le champ de la logistique et du SCM. S’ajoute à cela l’image des femmes en SCM, véhiculée par la presse spécialisée. Elles semblent si peu nombreuses dans les postes à très haut niveau de responsabilité que, lorsqu’elles les atteignent, leur promotion fait l’objet d’une attention particulière dans les éditos des magazines spécialisés ou d’un numéro spécial journée de la femme.

Les femmes Supply Chain Managers sont si peu nombreuses, qu’elles sont présentées comme des super-héroïnes par la presse. Shutterstock

Et même au sein de ces contenus, les stéréotypes ont la vie dure. Leurs réponses et leurs portraits laissent penser que les postes élevés de la hiérarchie ne sont pas accessibles au commun de mortelles. Les femmes de la SC sont décrites comme des managers au parcours « exemplaire », avec bien souvent des titres universitaires élogieux.

Alors que l’on demande souvent aux hommes quels sont les loisirs leur permettant d’évacuer le stress, les femmes sont plus souvent interrogées sur l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Elles sont ainsi présentées comme capables de jongler habilement entre leurs responsabilités familiales et les exigences de leur profession. Il est également souligné qu’elles ont dû se battre pour s’imposer et faire reconnaître leurs compétences.

En synthèse, si l’on s’intéresse à la représentation des femmes en SCM, la première image qui se dessine est assez pessimiste. Peu nombreuses d’après nos statistiques, les femmes Supply Chain Managers sont présentées comme des wonder women par la presse. Tout ceci invite à aller plus loin en parcourant la littérature scientifique.

Du « plafond de verre » au « barreau cassé »

Les études concernant la représentation des femmes dans les métiers du SCM sont rares, mais rejoignent nos premières conclusions.

Les enquêtes menées de 2016 à 2019 par AWESOME et Gartner auprès d’entreprises notent effectivement un phénomène de féminisation, mais une sous-représentation aux échelons les plus élevés. Ainsi, selon les derniers chiffres, la parité est quasiment atteinte si l’on tient compte de la masse salariale dans les pays développés. Mais lorsque l’on regarde les postes de seniors managers, les femmes ne sont que 29 %.

La question subsiste : comment expliquer ce décalage entre l’accroissement des femmes formées en SCM et leur faible proportion dans les postes à hautes responsabilités ?

Les femmes ne représentent que 29 % des effectifs de seniors manager dans les métiers du SCM, selon les enquêtes menées par AWESOME et Gartner. by rawpixel.com form PxHere, CC BY-SA

La première explication qui vient en tête et la plus connue est celle du « plafond de verre ». Elle traduit les difficultés des femmes à se hisser à des postes plus élevés durant leur carrière. Plusieurs éléments concourent à l’installation de ce plafond de verre : maternité, autocensure, mobilité difficile, promotions par les pairs qui favorisent les cercles de collègues masculins.

Le récent rapport Women in the workplace publié par la société de conseil McKinsey (2019) se détourne partiellement de cette explication. Selon les auteurs, le plafond de verre se fissure et c’est aujourd’hui le barreau cassé « the broken rung » qui explique le manque de diversité de genre dans les postes à responsabilité en Supply Chain.

Ils constatent que les femmes ont beaucoup de difficulté à passer vers le premier niveau des postes en management, le premier barreau de l’échelle. C’est à cette première étape de carrière que la proportion de femmes diminue drastiquement, ce qui explique ensuite leur faible présence bien plus haut dans la hiérarchie. En effet, seuls 38 % des postes de direction sont occupés par des femmes.

Ces réflexions amènent à penser que la diversité de genre en SCM doit être abordée sous l’angle du gender pipeline, en ayant une vue d’ensemble des étapes parcourues au cours d’une carrière, des niveaux hiérarchiques en SC dans l’entreprise et de l’attractivité même des métiers.The Conversation

 

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