Présenté comme historique par les uns, inutile ou presque par d’autres, l’accord trouvé à la dernière COP Climat divise. Pas étonnant vu qu’il est le fruit d’un compromis à 198 Parties et qu’il touche au cœur de notre système économique et nos modes de vie, en mentionnant pour la première fois un début de prise de distance avec les énergies fossiles. Alors que peut-on donc retenir de cet accord et plus largement de ces deux semaines de négociations ? Le point sur 2 thématiques majeures des négociations : l’énergie et le financement et ses manques.
1) L’énergie
S’il y a un point où l’accord est effectivement une première, c’est dans la mention d’un éloignement (« transitionning away » en anglais) des énergies fossiles. C’est fou mais il aura fallu 30 ans de COP pour inscrire un tel objectif alors que celles-ci sont responsables de près de 80% des émissions de gaz à effet de serre.
Oui MAIS : toutes les énergies fossiles ne sont pas logées à la même enseigne : une place au chaud est réservée au gaz naturel ou GNL reconnu comme « énergie de transition » car moins émettrices que le charbon ou le pétrole. Par ailleurs, les 2 500 lobbies pétroliers présents à la COP ont aussi pu pousser quelques techniques et subterfuges pour continuer leur business as usual :
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L’accord appelle ainsi à accélérer sur le captage et stockage du carbone « particulièrement » pour les secteurs à forte émissions comme le ciment ou la sidérurgie mais il s'agit d'une technologie très coûteuse, encore non mâture et qui pour l'instant sert surtout à récupérer plus de gaz et de pétrole.
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La mention de la décarbonation (avec une neutralité carbone pour 2050) est limitée aux systèmes énergétiques, ce qui laisse la voie à la production d’engrais ou de plastique issus du pétrole. Or on sait qu’il s’agit d’un relais de croissance pour les pétroliers…
Pour les autres énergies :
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c’est une victoire pour les promoteurs du nucléaire, au premier rang duquel le gouvernement français : le nucléaire fait son entrée dans une décision de COP.
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l’accord acte le développement accéléré des énergies renouvelables avec la multiplication par trois de leur capacité de production d’ici 2030.
A noter toutefois que rien n’empêche les Etats, qui sont appelés à sortir des énergies fossiles à leur rythme, équitablement et sans horizon de temps précis, de prendre les devants. C’est l’objet du « traité de non-prolifération des énergies fossiles » qui vise à sortir de TOUTES les énergies fossiles (y compris le gaz naturel). Mais à ce jour, seuls 12 pays (essentiellement des pays très vulnérables au changement climatique et à la montée des eaux comme les îles Palaos, Samoa, Nauru, mais seulement un pays producteur de pétrole, la Colombie) des organisations (comme le Parlement européen ou l’OMS), 95 villes et gouvernements locaux, des milliers de scientifiques (Voir l’article sur Vert)
2) Les financements
C’est toujours le point bloquant des COPs. Celle-ci a commencé par une bonne nouvelle : la création officielle du fonds pour les pertes et préjudices mentionné lors de la COP27 mais ainsi devenu opérationnel. Si des centaines de millions ont été promis, on est toutefois loin des montants nécessaires : de l’ordre de 150 à 300 milliards de dollars d’ici 2030, selon un rapport de 2022 (Independent High-Level Expert Group on Climate Finance).
Le fonds vert pour le climat – toujours sous doté - a recueilli 3,5 milliards de dollars de promesse de dons ; la Banque mondiale a augmenté son budget de 9 milliards de dollars par an pour les projets liés au climat en 2024 et 2025 ; un nouveau fonds doté de 30 milliards de dollars a été créé par la présidence émirati pour financer les solutions technologiques et la transition énergétique mais cette fois avec des fonds privés. Enfin, l’accord mentionne "une sortie des subventions inefficaces qui ne s’attaquent pas à la précarité énergétique ou aux transitions justes, le plus tôt possible" mais pas à toutes les subventions vers les énergies fossiles (subtilités toujours) comme le souligne Natura Sciences.
Rappelons qu’un objectif de 100 Mds de dollars par an pour le climat est acté depuis 2009 mais n’a dû être atteint qu’en 2022…
3) Les manques
L’adaptation est le parent pauvre de ce texte alors qu'elle devient cruciale au vu de la trajectoire actée par le bilan global, c’est-à-dire un réchauffement global de la planète compris entre 2,1°C et 2,8°C, ce qui rend une partie de la terre inhabitable rappelle Jean Jouzel dans un entretien à Libération. Le langage employé reste flou et sujet à de nombreuses interprétation et même si le bilan global s’appuie sur les conclusions du GIEC en actant la nécessité d’atteindre un pic des émissions en 2025 et une réduction des émissions de GES d’ici à 2030 pour espérer rester en dessous des +1,5°C, aucune contrainte ni aucun calendrier n’est fixé aux Etats. Enfin, les pays riches n’ont encore aucune obligation d’assumer leurs responsabilités financières face aux pays en développement, les plus vulnérables aux changements climatiques. Or, ceux-ci vont avoir besoin de plus de 200 milliards de dollars par an pour s’y adapter. A noter enfin (et ce n’est pas une blague), que les représentants des îles n’étaient pas présents lors de l’adoption du texte final voté au sommet onusien car ils étaient en train de s’accorder sur leur position. Or ils jugent le texte insuffisant (mais ils n'y se seraient pas opposés au texte).
Un dernier pour la route : quelques jours seulement après la fin de la COP, le président de la COP28 Sultan al Jaber, qui est aussi à la tête de la compagnie pétrolière émiratie Adnoc, a déclaré au Guardian qu’il continuerait à investir dans le pétrole malgré l’accord trouvé à Dubaï. Voilà, voilà
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