L’Union européenne devrait se doter d’une réglementation contraignante sur le devoir de vigilance des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants d’ici 2021 dans la lignée du texte français. L’Allemagne, premier partenaire commercial de la France, s’y attelle au niveau national et compte peser sur le projet européen.
Mise à Jour Février 2021 :
Le projet de loi allemand “Lieferkettengesetz” -avant son adoption au parlement- entre le Modern Slavery Act (UK) et le devoir de vigilance français ?
- Entrée en vigueur visée : janvier 2023
- Entreprises allemandes de 3 000 salariés et + (2024 pour celles de plus de 1.000 salariés)
- Droits humains et sociaux. Les enjeux environnementaux ne sont pas couverts
- Devoir de vigilance sur sites de production et fournisseurs directs exclusivement
- ONG et syndicats pourront mener des actions devant les tribunaux allemands
Les fournisseurs indirects (dont chaîne amont et matières premières) ne devront être contrôlés “qu'au cas par cas, par exemple lorsque des plaintes d'employés dans une mine de matières premières remontent à l'entreprise allemande. Les groupes devront alors vérifier les lacunes dont ils ont connaissance et prendre des mesures correctives, mais la loi ne prévoit pas d'engager systématiquement leur responsabilité civile”.
Très controversée lors de son adoption en 2017, la loi sur le devoir de vigilance française qui demande aux grands donneurs d’ordre de cartographier et de prévenir les risques pesant sur les droits humains sur toute leur chaîne d’approvisionnement semble faire désormais figure d’exemple.
Diverses mesures législatives nationales comportent des obligations de diligence dans les chaînes d'approvisionnement, mais elles demeurent généralement spécifiques à un secteur ou à un sujet particulier. La loi française sur le devoir de vigilance représente donc, à ce jour, un rare exemple législatif contraignant consacrant un devoir de diligence raisonnable général en matière de droits de l’homme et d’environnement.
"Alors que le patronat s’était fortement mobilisé contre la loi française, les entreprises françaises expliquent désormais comment celle-ci leur a permis de conquérir des marchés"
Dominique Potier, député qui a porté la loi française sur le devoir de vigilance
Au niveau des gouvernements nationaux européens, une réglementation est déjà en place au moins sur certains secteurs ou en cours, comme aux Pays-Bas ou en Allemagne, premier partenaire commercial de la France, où le gouvernement fédéral travaille sur une nouvelle loi nationale sur les droits humains et la chaîne d’approvisionnement : “Das Lieferkettengesetz” (qui pourrait être traduit "The Supply Chain Act").
Hubertus Heil : "Voluntariness is not enough"
Ministre fédéral allemand du travail
"La responsabilité en matière de droits de l'homme n’est pas une option. Les résultats de notre enquête montrent que le volontariat ne suffit pas. Nous avons besoin d'une loi nationale pour garantir une concurrence loyale. La loi sur la chaîne d'approvisionnement “Das Lieferkettengesetz” n'exigera que ce qui est faisable et proportionné. Et elle créera une sécurité juridique et opérationnelle pour les entreprises".
Les entreprises allemandes sont au coeur des actions du conseil allemand pour le développement durable (RNE), mandaté par le gouvernement pour élaborer des rapports sur la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement durable, définir des projets et champs d’action concrets, et accompagner les entreprises allemandes sur cette nouvelle étape.
RNE Conseil allemand pour le développement durable
"De plus en plus d'entreprises, d'investisseurs et de consommateurs préfèrent un mode de fonctionnement socialement et écologiquement durable. Pour que la durabilité s'impose comme un principe directeur de l'économie, il est donc nécessaire que toutes les entreprises disposent de réglementations contraignantes sur leur devoir légal de vigilance".
I - Accélération du devoir légal de vigilance au niveau européen comme réponse à la crise sanitaire : 2021 en ligne de mire !
Bref rappel 2020 des récentes avancées en Europe :
-
Janvier : “The Act”, loi néerlandaise sur la diligence raisonnable
-
Février : Publication de l’étude initiale de l'Union européenne en vue “du développement éventuel d’options réglementaires en la matière au niveau européen”.
-
Mars : seconde étude menée dans le cadre du NAP Allemand (National Action Plan) : moins de 20% des 500 grandes entreprises allemandes ciblées sont conformes aux exigences.
-
Avril : le commissaire européen à la Justice Didier Reynders annonce que l’Union européenne élaborerait d’ici 2021 une proposition législative inspirée du texte français.
- Août : l'Allemagne, premier partenaire commercial de la France, annonce l'introduction d'une loi nationale équivalente, “Das Lieferkettengesetz”
“La pandémie a douloureusement mis en évidence les vulnérabilités de notre économie et des chaînes d'approvisionnement mondiales non réglementées… Les entreprises ayant de meilleurs processus d'atténuation des risques dans leurs chaînes d'approvisionnement causent moins de dommages et résistent mieux à la crise.
Nous devons donc nous assurer que cette conduite responsable devienne la norme, une orientation stratégique pour les entreprises”
Steffen Seibert Porte-parole du Gouvernement fédéral
“Nous élaborerons des points clés au sein du gouvernement fédéral, qui constitueront ensuite à la fois la base de notre législation nationale et la base des négociations à mener en Europe”.
II - Chaînes d’approvisionnement, droits humains et environnement : quelle vigilance des entreprises en Europe ?
Difficile d'appréhender en Europe les niveaux de pratiques des entreprises en matière de diligence raisonnable. Les données statistiques fiables et comparables de niveau mondial sur les pratiques éthiques et performances environnementales et sociales des entreprises et tout particulièrement PME et ETI impliquées dans les chaînes d’approvisionnement sont encore trop rares.
L’étude de l’Union européenne publiée en février 2020 "Study on due diligence requirements through the supply chain” révélait qu’à peine plus du tiers des 300 entreprises européennes interrogées disposaient de procédures de diligence raisonnable couvrant les incidences négatives relatives à l'ensemble des droits de l’homme et l’environnement.
Publié en septembre 2020, l’indice annuel EcoVadis “Insights From Global Supply Chain Ratings" vient conforter ce résultat. Sur les 40 000 entreprises de l'échantillon, parmi l’ensemble des 4 thèmes RSE évalués, l’attention accordée aux enjeux de la chaîne d’approvisionnement (score achats responsables), dont les mesures de diligence raisonnable mises en place, demeure la moins avancée en 2019. Le score achats responsables est toujours nettement insuffisant y compris en Europe et ne progresse pas (au mieux !).
"Les pratiques RSE des fournisseurs de rang 1 ont progressé ces dernières années, mais ils ont d’abord travaillé sur les propres impacts environnementaux, puis sociaux, avant de s’attaquer au sujet de l’éthique des affaires, mais ils ne se sont pas encore attelés à leur propre supply chain. Sur l’ensemble des sujets que nous traitons dans nos notations RSE, la chaîne d'approvisionnement est toujours la moins bien notée. Aujourd’hui, très peu d’entreprises ont une vision des pratiques de leurs fournisseurs de rang 2.”
Sylvain Guyoton, Senior Vice-President Research EcoVadis
Parmi les 4 thèmes évalués, le score achats responsables EcoVadis mesure au sein d’une entreprise son niveau de maîtrise des impacts liés aux activités de ses fournisseurs. L’évaluation prend en compte les problématiques sociales et environnementales qui ne résultent pas uniquement des liens avec les fournisseurs directs mais qui peuvent apparaître au travers des rangs 2 ou 3 de fournisseurs.
En France comme en Allemagne, les pratiques achats responsables des entreprises de +1000 salariés ne connaissent pas d’évolution notoire en 2019, avec un score au mieux en légère régression et la + faible progression sur 5 ans.
Si le score moyen Achats Responsables France est nettement supérieur à celui des grandes entreprises basées en Allemagne, ils restent tous deux bien inférieurs aux grandes entreprises du nord de l’Europe. Niveau PME, en europe, des scores moyens par pays plutôt proches, en stagnation ou en régression, parfois supérieurs à ceux des grandes entreprises.
III - FOCUS score achats responsables PME France et Allemagne
Au niveau de la prévention des risques sociaux, environnementaux liés aux activités des partenaires commerciaux, sous-traitants et fournisseurs, de grandes différences sectorielles demeurent parmi les PME. De nombreux secteurs ont un score achats responsables inférieur à 45/100.
Sur l’échelle EcoVadis, le niveau de management qui débute à 45/100 comprend un reporting élémentaire sur les achats, une démarche achats responsables développée avec un niveau de politique le plus souvent avancé et quelques actions robustes comme par exemple, code de conduite fournisseur, évaluations des fournisseurs, formation des acheteurs, audit sur site RSE des fournisseurs… En dessous de ce seuil, la performance est au mieux insuffisante.
-
PME France : cinq secteurs parmi les 9 étudiés sont en risque moyen sur les enjeux liés à leur chaîne d’approvisionnement avec un score moyen sectoriel toujours inférieur à 45/100 en 2019 : Transport et logistique (39,7), ICT (41,4), Construction (42,3) Industrie électronique et technologies de pointe (43,2) et Distribution (44,2). A noter, sur le secteur de la distribution, le score “achats responsables” grandes entreprises est aussi inférieur à 45/100. En savoir plus : Note de synthèse France 2020
- PME Allemagne : les PME du sous secteur de la chimie sont les premières à présenter un score supérieur à 45/100, premier palier de performance RSE adaptée. En savoir plus : Note de synthèse Allemagne 2020
Moyennes score “achats responsables” 2019 des entreprises PME France / Allemagne / Europe
La description détaillée des secteurs est accessible sur ce lien.
Les résultats de l'étude annuelle EcoVadis "Business Sustainability Risk and Performance Index" prouvent que la vigilance et les pratiques achats responsables sont encore insuffisantes et en contradiction avec le principe de la loi sur le devoir de vigilance.
Les grands donneurs d’ordre – les clients d’EcoVadis - savent ce qu’il se passe chez leurs fournisseurs de rang 1, mais pas au niveau suivant. La loi sur le devoir de vigilance, si elle a contribué à faire progresser les donneurs d’ordres dans leur suivi des pratiques, présente des lacunes. En théorie le donneur d’ordre doit remonter en amont de la chaîne s’il estime qu’il y a des risques, mais en même temps il n’est supposé screener les pratiques que si des relations commerciales sont établies.
Le Commissaire européen à la Justice a annoncé l’adoption d’ici 2021 d’une directive pour un devoir de vigilance à l’échelle de l’Europe, espérons qu’elle prendra en compte les faiblesses identifiées dans les différentes réglementations nationales.
Sylvain Guyoton, Senior Vice-President Research EcoVadis
Devoir de vigilance : comment EcoVadis peut aider ?
Vous êtes concerné(e) par le marché allemand et le devoir légal de vigilance ? Vous parlez allemand ? Lisez l’article “Sorgfaltspflichten in europäischen Lieferketten”
*****
Devoir de vigilance, témoignages clients et webinaires : VINCI Energies, Groupe Mars, Analyse des plans de vigilance association edh, initiative chaîne amont caoutchouc naturel.
Référentiels RSE des entreprises France Allemagne : étude comparée RNE/Code de développement durable & EcoVadis
A propos de l'auteur
Plus de contenu par Veronique Seel