Audits sur site et pandémie : impacts et perspectives

April 20, 2020 Veronique Seel

D’après les données QIMA, la demande d'inspections et d'audits sur site durant les trois premières semaines de février 2020 a chuté de -75% par rapport à l'année précédente... 

Fondé à Hong Kong, QIMA a aujourd'hui 30 bureaux, plus de 3,000 employés de 60 nationalités et opère dans 85 pays. Prestataire de contrôle qualité et conformité, l’entreprise propose à ses clients un service en ligne, pour une plus grande réactivité et une meilleure maîtrise des budgets. Après plus de 15 ans d’activité, des marques, distributeurs et importateurs de plus de 120 pays à travers le monde utilisent QIMA régulièrement. 

QIMA est un partenaire de longue date pour EcoVadis : dans certains cas, à la fin du processus d’évaluation EcoVadis, l’analyste peut demander une vérification sur site d’un ou de plusieurs sites où l’entreprise opère pour compléter les preuves fournies par l’entreprise notamment lorsqu'il s'agit de marchés avec des indicateurs de risque élevé en matière de problèmes sociaux et/ou environnementaux (p. ex. : Inde, Bangladesh, Chine). Le protocole de vérification sur site s’appuie alors sur la norme SA8000.

Interview de Mathieu Labasse, Chief Marketing Officer QIMA

Quels sont les impacts de la pandémie sur la demande d’audits sur site ?

En Chine, la pandémie a entraîné un prolongement de la période traditionnelle de fermeture des usines au moment du Nouvel An Chinois. Sur les trois semaines de Février qui ont suivi le Nouvel An, alors que d’ordinaire les usines ré-ouvrent lorsque les ouvriers reviennent de congés, la demande d'inspections et d'audits sur site a chuté de -75% par rapport à l'année précédente. 

Puis, durant la semaine du 16 mars, suite aux réouvertures progressives en Chine, les volumes d'inspection et d'audit étaient sur le point de rattraper les niveaux de 2019… pour s'effondrer à nouveau, (baisse de -19% par rapport à 2019) mais, cette fois ci, du fait des mesures de confinement des acheteurs occidentaux, Europe de l’Ouest et États-Unis. 

Un autre impact de la situation sanitaire est de modifier les priorités des acheteurs : les équipes de QIMA ont été par exemple fortement sollicitées par les donneurs d’ordres occidentaux en Février et Mars pour réaliser des audits techniques sur les conditions d’hygiène et d’équipement sanitaires de leurs sites de production en Asie et ainsi vérifier les conditions de réouverture des usines et ateliers. 

Alors que les productions de biens de consommation courante « non essentiels » sont très largement suspendues, on observe également une course à l’importation des masques et matériels de protection. QIMA contribue à son niveau en offrant des services d’inspection de qualité gratuits en Chine pour la production de masques et d’équipements de protection individuelle. Dans une crise sanitaire comme celle-ci, il est impératif que la qualité des équipements médicaux de protection tels que les masques, les gants, les manteaux et les lunettes soit vérifiée et conforme aux normes avant leur distribution aux équipes de première ligne et au public. (Les Pays-Bas ont par exemple annoncé fin mars le rappel de centaines de milliers de masques importés de Chine après avoir constaté qu'ils étaient défectueux et ne répondaient pas aux normes de qualité). 

Quels sont les risques à court terme ?  

Une enquête QIMA menée en février 2020 auprès de plus de 200 grands donneurs d’ordre internationaux a révélé que plus de la moitié des Directeurs et responsables Achats s’attendent à ce que l’épidémie de coronavirus augmente leurs coûts d’exploitation.

La pandémie de coronavirus a le potentiel d’accroître les risques pour les droits de l’homme dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. À mesure que les conditions d’emploi deviennent plus précaires dans l’industrie du vêtement par exemple, les travailleurs sont confrontés à des risques plus élevés de travail forcé et d’esclavage moderne. 

Un risque direct à court terme est simplement lié à la situation financière très précaire dans laquelle une majorité de fabricants des pays producteurs commence à se retrouver : Bangladesh, Inde, Vietnam… dans une moindre mesure, la Chine, qui dispose d’un marché intérieur pouvant amortir le choc. Dans un contexte où certaines marques n’ont pas hésité à annuler du jour au lendemain leur carnet de commande – voire même les commandes en cours pour certaines – les usines vont certainement être tentées de prendre des raccourcis sur les pratiques sociales et environnementales pour sauvegarder leurs marges.

Dans la même logique, on risque d’assister à une augmentation du travail dissimulé par sous-traitance : la sous-traitance dissimulée est un problème mondial dans l’industrie des biens de consommation, qui expose les marques et les détaillants à des risques éthiques, nuit à la transparence de la chaîne d’approvisionnement et conduit souvent à des violations des droits de l’homme.

Le mouvement global de diversification géographique du sourcing va également sans doute s’amplifier, avec les risques éthiques associés : depuis quelques années, d’abord suite à l’augmentation des coûts de revient en Chine, puis, depuis 2018, les tensions commerciales avec les Etats-Unis, les marques et distributeurs occidentaux ont commencé à chercher de nouveaux fournisseurs dans des régions moins matures que la Chine. En 2019 par exemple la demande d’audits et inspections en Asie du Sud a augmenté de 37%, alors que les volumes en Chine stagnaient. Les usines de ces pays sont souvent moins sensibilisées et avancées dans leur approche du respect du droit des travailleurs, de la sécurité ou de l’impact environnemental. 
La pandémie de Covid-19 pourrait accélérer ce mouvement : les acheteurs ont réalisé en Février le risque de mettre tous leurs œufs dans le même panier lorsque la Chine a été mise à l’arrêt. 

Un risque ++ dans la filière de l’industrie textile / habillement : la supply chain y est par nature très éclatée, avec un fort besoin en main d’œuvre et la logistique dans l’industrie de la mode souffre tout particulièrement des retards de production et des annulations d’événements causés par l’épidémie de Covid-19. En cette période difficile, la communication et la coordination quotidiennes entre les multinationales de la mode et de l’habillement et les régions de fabrication dans les pays touchés par l’épidémie sont cruciales pour minimiser les perturbations. 

Combinaison audits sur site et évaluations : quelles perspectives dans ce nouveau contexte ? 

Il y a de fortes synergies opérationnelles. 

En période de confinement et de quarantaine, les évaluations réalisées à distance ne sont pas affectées par les restrictions et constituent une bonne alternative ; les résultats pourront être utilisés pour affiner les audits une fois que les conditions seront revenues à la normale et que les interdictions de voyager seront levées, ce qui sera utile face à l’augmentation attendue des audits et à d’éventuels allongement des délais. 

Selon le contexte, les synergies peuvent s’effectuer dans les deux sens : audit sur site puis suivi et engagement sur la durée par un cycle annuel d’évaluation basé sur des preuves, ou bien encore, ce qui est  souvent observé, une demande d’audit sur site suite à des résultats trop faibles issus d’une évaluation documentée. 

L’avantage principal de l’audit est de s’effectuer sur place, mais c’est un instantané. Les deux approches sont plus que jamais complémentaires ! 

Le bilan annuel 2019 des audits sur site réalisés par QIMA montre que les mesures éthiques et les progrès environnementaux dans l'approvisionnement mondial ont stagné et que les entreprises semblent donner la priorité aux préoccupations opérationnelles plutôt qu'à la durabilité : 

18 % des usines auditées en 2019 par QIMA présentaient des violations critiques de l'éthique, dont près de 40 % étaient liés aux heures de travail et aux non-conformités salariales. Les infractions liées au travail des enfants ont été enregistrées dans 3 % des cas, soit une légère amélioration par rapport au chiffre de 2018.

La part des usines classées "besoin d’amélioration” (in need of improvement) a atteint un niveau record en 2019 (44,5 % contre 37 % en 2018). Le risque est de voir les acheteurs occidentaux se contenter de performances éthiques "suffisamment bonnes", au lieu de conduire l'amélioration continue de leurs chaînes d'approvisionnement et la garantie du progrès par un suivi régulier.


Aujourd’hui plus que jamais, il est essentiel que les entreprises s’engagent et collaborent avec toutes les parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement, y compris les fournisseurs, les travailleurs et le public, pour comprendre la meilleure façon de faire face à ces risques.

***
Merci à Mathieu Labasse, Chief Marketing Officer QIMA- Interview du 8 Avril 2020 / Photographies (c) QIMA

 

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A propos de l'auteur

Veronique Seel

Véronique Seel has been creating French content (data/studies/analysis and interviews) for EcoVadis since 2017. A graduate of the Conservatoire National des Arts et Métiers (Paris) in Engineering and B2B Marketing, Véronique progressively specialized in CSR and sustainability during her time as consultant for Vigeo Eiris, then helped BNP Paribas Cardif to create a Sustainable Development department, followed by three years contributing to cleantech and mobility projects in the European Atlantic Area. Véronique Seel is a partner of the Coapi cooperative based in La Rochelle, France.

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