La place de Paris doit revoir les moyens de ses ambitions pour la transition

March 24, 2022 Béatrice Héraud

Le rapport Perrier commandé par Bercy au Président d’Amundi (1er gestionnaire d'actifs français et européen) et vice-président de Paris Europlace avait une ambition forte / définir une trajectoire pour les acteurs de la Place de Paris (assureurs, banques et gérants de fonds) afin d’aligner leurs actions avec les objectifs définis par l’Accord de Paris. Et de fait, « réussir la transition climatique implique d'opérer une révolution industrielle et de mettre en place une nouvelle économie politique », souligne le premier chapitre. Cela implique de remplacer les énergies fossiles (80 % de l’énergie primaire au plan mondial)  par des énergies décarbonées en 30 ans seulement, alors qu'elles sont à la base de notre économie depuis 150 ans. Et d’opérer cette transformation pour quasiment l’ensemble des secteurs d’activité qui devront adapter leurs produits, leurs infrastructures et leurs procédés industriels. Pour Yves Perrier, le secteur financier a donc "un rôle majeur à jouer pour allouer efficacement le capital au financement des investissements considérables à réaliser en adaptant sa gouvernance, ses normes, ses standards d’analyse et objectifs de rentabilité à ce nouvel enjeu qu’est la gestion de l’externalité carbone.»

Dans ce cadre, l’objectif de la Place financière de Paris est tout simplement de devenir "la place européenne de référence pour la mise en œuvre des actions climat". Cela implique quelques transformations puisque les banques françaises sont à la 4ème place mondiale en termes de soutien aux énergies fossiles et ont presque doublé leurs financements entre 2016 et 2020, selon le dernier calcul de Reclaim Finance.

Pour ce faire, le rapport rendu début mars au ministre de l’Economie préconise 7 grands chantiers. Parmi les mesures les plus marquantes :

  •  Instaurer une comptabilité CO2 avec des budgets carbone ainsi que l’intégration de critères CO2 aux processus d’investissement et de crédits. Cela implique aussi la mise en oeuvre rapide des nouvelles réglementations européennes sur le reporting climat (SFRD, CSRD et Taxonomie)
  •  Mettre en place de « nouvelles pratiques de gouvernance » comme une indexation de la rémunération des dirigeants sur des indicateurs climatiques ou un say on climate obligatoire
  •  Créer un nouveau label « transition climat » pour les produits financiers entre le label ISR (très généraliste et critiqué pour ses faibles ambitions) et le label Greenfin qui exclut les énergies fossiles mais aussi le nucléaire. Objectif : « valoriser les investissements dans la transition carbone et pas uniquement dans les actifs déjà considérés comme verts ». Il serait en quelque sorte le pendant de la taxonomie européenne.
  •  Faire adopter par les acteurs financiers de « stratégies transparentes et comparables de sortie de l’ensemble des énergies fossiles »…mais après la mise en place d’un groupe de travail pour définir un scénario de référence à 2025, 2030 et 2050.

Cependant, l’urgence est telle que les recommandations restent bien trop tièdes au goût d’ONG spécialisées comme Reclaim Finance qui pointe « l’absence d’objectifs et d’indicateurs permettant de mesurer le progrès fait par les acteurs financiers sur le court terme ». Résultat : « alors que le rapport était a minima censé traiter des trajectoires de sortie des secteurs les plus polluants et risqués – charbon, pétrole et gaz non conventionnels- il se contente de préconiser la création d’un groupe de travail ». Le Président du Collège des directeur développement durable (C3d) est du même avis. « En l'état, les propositions de ce rapport ne sont pas assez contraignantes pour les acteurs de la finance au regard des enjeux climat ».

Pour Fabrice Bonnifet, il faut aller plus loin, en transformant l’ensemble du système économique et financier avec la définition et le déploiement de nouveaux indicateurs remplaçant celui du PIB pour évaluer les progrès d’une création de richesse non seulement décarbonée mais aussi inclusive. Il demande aussi d’établir un « nouveau narratif pour un modèle de société basé sur la sobriété au service du progrès humain dans le respect des limites planétaires et de la biodiversité ». La trajectoire de sortie des énergies fossiles doit ainsi se faire selon une démarche type Science Based Targets et la comptabilité CO2 devenir la norme mais dans une perspective de réelle mise en place de « décroissance carbone » en valeur absolue et non en intensité. 

A propos de l'auteur

Béatrice Héraud

Béatrice Héraud, Journaliste pigiste et formatrice sur la transformation durable de l'économie, après 12 ans chez Novethic, elle publie depuis janvier 2022 une newsletter bimensuelle sur l’actualité de la transition écologique et sociale sur LinkedIn : Le Grand écart

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