Béatrice Héraud fait le point sur les derniers rapports parus sur ce sujet complexe de neutralité carbone dans sa newsletter bimensuelle, Le Grand Écart :
La neutralité carbone, beaucoup d'engagés, peu d'élus
« Individuellement ou à leur échelle, les acteurs économiques, collectivités et citoyens qui s’engagent pour la neutralité carbone, ne sont, ni ne peuvent devenir, ou se revendiquer, neutres en carbone car cela n’a pas de sens à leur échelle. En revanche, ils peuvent valoriser leur contribution à cet objectif mondial via leurs actions respectives ». L' ADEME
On en n’est pas encore là et les engagements de neutralité carbone, à différents horizons, fleurissent chez les entreprises. Résultat, selon le rapport "The Corporate Climate Responsibility Monitor" conjoint de l’ONG Carbon Market Watch et le New Climate Institute (appelé à être actualisé chaque année), on est dans le grand n’importe quoi : 25 des plus grandes entreprises du monde ayant pris des engagements de neutralité carbone n'atteindront qu’une réduction moyenne de 40 % de leurs émissions par rapport à 2019. Dommage car leur poids climatique n’est pas anodin : leurs émissions comptent pour quelque 5% du total mondial (2,7 GtCO2e) soit l’équivalent d’un pays
Parmi les raisons qui expliquent ce grand écart : le recours à la compensation carbone de façon bien supérieure à ce qui devrait être fait. Rappelons que celle-ci n’a de sens que si l’on s’en sert pour les émissions dites « incompressibles », celles que l’on ne peut pas réduire. Ce n’est évidemment pas souvent le cas et tous les projets de compensation ne sont pas de la même qualité, loin s’en faut. C’est notamment le cas des projets de reboisement, dont certains se focalisent sur des essences qui séquestrent peu de carbone ou meurent très rapidement. Et il reste difficile de bien évaluer l’additionnalité de ces projets, soit le fait que la réduction ou la séquestration des émissions réalisées par ce biais ne se serait pas faite sans ces projets. Or, 19 des 25 entreprises retenues fondent l’essentiel de leur engagement de neutralité sur la compensation sans préciser comment ni fournir de garantie suffisante quant à la permanence des projets financés.
Autre problématique, celle du périmètre utilisé : les fameux scopes, qui correspondent aux émissions directes et indirectes des entreprises. Pour de nombreux secteurs comme la finance ou l’automobile par exemple, le scope 3 aval, c’est-à-dire les émissions réalisées par les entreprises en portefeuille ou par les utilisateurs des voitures sont plus que majoritaires. Pour les 25 plus grandes entreprises du monde, intégrées dans le panel de Carbon Market Watch, cela représente 87% de leurs émissions. Or seulement 8 d’entre elles prennent en compte la totalité des Scopes dans leur engagement de neutralité carbone Une autre étude publiée fin 2021 par BCG Gamma et portant cette fois sur 1300 entreprises estimait que seuls 9% mesuraient de façon précise les émissions du scope 3.
Enfin, même si certaines entreprises semblent présenter des gages de bonne volonté pour crédibiliser leur action avec des standards émergents comme le SBTi Net Zero, le diable se cache (toujours) dans les détails. Et certaines entreprises recourent par exemple à des années de référence où elles ont émis de fortes quantités de gaz à effet de serre. Cela amenuise considérablement leurs efforts réels souligne Carbon Market Watch.
Conclusion : les entreprises peuvent et doivent prendre des engagements climatiques mais cela doit être encadré par les Etats au niveau des calculs et du suivi. On attend de savoir ce qu’il en est du One Planet data Hub, la future plateforme lancée en octobre 2021, à l’occasion de la COP26 de Glasgow. Initiée par la France, celle-ci doit mesurer les engagements concrets pris par les acteurs internationaux du privé.
« Les régulateurs ne devraient pas compter sur la pression des consommateurs et des actionnaires pour conduire l'action des entreprises. Les entreprises doivent être soumises à un examen minutieux pour confirmer si leurs promesses et leurs revendications sont crédibles, et doivent être tenues responsables dans le cas où elles ne le sont pas », Silke Mooldijk et Sybrig Smit, co-auteurs du rapport.
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