Chez NAOS, c’est la direction Achats qui coordonne les bilans carbone pour une transition bas carbone

April 13, 2022 Veronique Seel

La moitié de l’empreinte carbone mondiale du groupe cosmétique français NAOS (Bioderma/Institut Esthederm/Etat Pur) est liée aux achats. Cependant, ce n’est pas la seule raison de ce portage -encore très atypique- du plan global de décarbonation par la Direction des Achats et son directeur Stéphane Faustin-Leybach. Témoignage recueilli lors des rencontres CNA en région PACA “Décarbonation, une nouvelle dynamique pour des Achats Responsables”.

 

le développement durable n'est pas qu'une extension de notre métier d’acheteur, mais devient notre métier : People/Performance/Planète

 

 

Stéphane Faustin-Leybach est, depuis 2004, le Directeur Supply Chain puis des Achats du groupe cosmétique français NAOS. En ajoutant son expérience précédente de 8 ans au sein de Léa Nature, il cumule donc 25 années d’exercice de la fonction de Directeur des achats au sein d’entreprises à mission, à forte croissance et indépendantes. 

Professionnel engagé, élu Décideur Achats Argent en fin d’année 2021, son témoignage illustre bien la mutation de la fonction des achats et de sa place dans la stratégie de croissance durable des entreprises observée par de nombreux experts. Des nouvelles compétences requises au portage d’innovations et d’actions stratégiques, la description de son métier devrait à la fois rassurer et donner envie à de nombreux futurs acheteurs et acheteurs en place, désireux de plus d’impact et de sens dans l’exercice de leur métier.
 

Les achats responsables, une démarche de long terme qui change le métier d’acheteur

“Très humblement, chez Naos, cela fait 17 ans que je développe une politique d'achat responsable avant qu'on appelle cela “achats responsables”. Ce n'est pas pour donner des leçons, mais simplement donner un retour d'expérience sur la nécessaire longue durée d’une telle démarche pour être efficace. Pour que tout un service dans l'entreprise suive le même mouvement, il faut créer une politique achats qui généralement est déclinée d'une politique d'entreprise.

Il faut donner un cadre de priorisation aux acheteurs. Tous les jours, les acheteurs vont avoir des programmes à mener par rapport à des objectifs. À un moment donné, ils sont confrontés à des dilemmes : « Est-ce qu'on recherche à faire des économies ? Est-ce qu'on cherche à sécuriser ? Et le développement durable ?”. Il faut donc, dans chaque programme, pouvoir checker et faire coïncider ces priorités de la politique achat et faire des bons choix ou parfois renoncer à certains programmes.

Priorité achat numéro 1 depuis ces dernières années : la sécurisation des sources d’approvisionnement

Souvent de manière caricaturale quand on parle d'un service achat, on pense que les acheteurs font essentiellement des économies. Chez nous, la priorité, c'est d'abord de sécuriser la pérennité de nos sources d'approvisionnement.

Avec la crise mondiale, il est vital de sécuriser les sources d'approvisionnement parce qu'une rupture sur un marché à forte valeur ajoutée comme en dermatologie coûte plus cher que la moindre économie réalisée dans l'année. L'idée, c'est d'avoir des produits à la qualité requise livrés au bon moment et à un coût cohérent, mais surtout avoir des produits disponibles.

Réduire les dépenses vient en seconde priorité. Je préfère faire des économies sur des achats non stratégiques et sécuriser mes achats stratégiques. En troisième position, pratiquement au même niveau que les réductions, c'est avoir une démarche de développement durable. En effet, j'ai des programmes que je préfère ne pas lancer si c'est uniquement pour faire des économies et que cela va à l'encontre de nos valeurs en développement durable. Enfin, le service client, toujours servir les besoins des prescripteurs et augmenter notre couverture achat chez Naos.

Donner plus de sens aux acheteurs sur les métiers qu'ils font

N'importe quel professeur enseignant en Achat dira : « Les acheteurs, c'est la gestion du risque, c'est la contribution à l'autofinancement des sociétés. C'est faire des économies, c'est la loi Sapin 2, c'est la gestion de la relation fournisseur. » Ça, c'est le b. a.- ba du métier.

Progressivement, depuis des années, chez Naos, j'essaie de transformer le métier pour donner plus de sens aussi aux acheteurs sur les métiers qu'ils font et pas uniquement de faire des économies, de la sécurisation, mais aussi transformer les achats vers des achats dits responsables, appliquer la fameuse charte relation fournisseur-achat responsable et ses 10 principes d’engagement. Si nous devons acheter plus, alors il faut acheter mieux pour réduire notre empreinte environnementale tout en réalisant de la croissance.

Apprendre avec certains de nos fournisseurs

Le fait d’avoir mis en place une charte éthique avec nos fournisseurs, de questionner nos fournisseurs sur la RSE nous donne l’occasion de se benchmarker avec eux. Nous apprenons avec certains de nos fournisseurs, surtout s'il s’agit de gros groupes, de multinationales, qui sont parfois bien plus en avance que nous. Le développement durable n'est pas qu'une extension de notre métier, mais devient notre métier. 

Chez NAOS, le cœur de notre métier comprend aujourd’hui la gestion des risques, la contribution à l’autofinancement NAOS et la gestion de la relation fournisseurs. Trois autres grandes lignes directrices font partie intégrante du métier d’acheteur au sein de notre groupe : la digitalisation des achats, la politique achats responsables et le programme de transition écologique dont une stratégie bas carbone avec un plan ZEN (Zéro Emission Nette Carbone), portée par les achats car plus de la moitié de l’empreinte carbone mondiale est liée aux achats. 

 

Le bilan carbone mondial est à l’initiative du service achat

Chez NAOS c’est le service Achats qui pilote le bilan carbone depuis 2011. 

Cela a commencé par la création d'une action collective Ademe il y a une dizaine d'années avec le Cosmed et une dizaine d'entreprises pilotes dont NAOS pour créer le référentiel de l'ADEME de la filière cosmétique du bilan des gaz à effet de serre. Lors de la dernière mise à jour, NAOS a réalisé son bilan carbone sur le monde entier. Nous ne nous sommes pas cantonnés au périmètre national, le nouveau bilan porte sur 130 pays avec tous les flux, les bâtiments, les produits. 

Après avoir porté cette mission par conviction, les chiffres de ce nouveau bilan à l’échelle du monde confortent ce choix : 

Les fournisseurs pèsent pour 43 % de notre empreinte carbone et le fret pour 22%. Si vous réunissez les deux, 64 % de l’empreinte carbone de Naos est directement liée aux achats et la supply chain. Il y a donc une certaine logique qu’une Direction achat puisse porter la décarbonation et le plan bas carbone pour son entreprise.

“L'avantage du carbone dans tous les critères d’achats extra financiers c’est qu’il est monétisable”
L'avantage du carbone dans tous les critères extra financiers c’est qu’il est monétisable. Nos équipes achats développent un outil de pilotage carbone qui permettra d’avoir des correspondances € et CO2 pour orienter les priorités du programme de transition écologique. C'est très pratique : vous consommez du PET, il a un indice carbone, vous intégrez du RPET à la place et vous avez une baisse de votre CO2. Votre électricité et vos déplacements c’est pareil, donc tout est transformable en euros et en CO2. À un moment donné, si vous réduisez votre empreinte carbone, vous ferez donc aussi des économies. Cette monétisation du carbone facilite l’adhésion et le soutien des directions générales sur les projets d’action.

Après l’image à un instant T avec le bilan, il faut agir pour réduire et décarboner, l’étape suivante logique est un plan bas carbone. Nos équipes sont impliquées dans de nombreuses actions et innovations, car les pistes de réduction des émissions de CO2 sont nombreuses. L’urgence liée à la décarbonation est clairement une nouvelle dynamique pour la direction des achats.

Exemple 1 

Favoriser l'achat national et le rapprochement géographiques des activités 

Cela fait des années que je pousse mes acheteurs à localiser et relocaliser les achats en France. Relocaliser, pour ceux qui étaient historiquement dans d'autres pays, mais aussi pour tout nouveau programme, chercher des partenaires en France voire en Europe. 

Aujourd'hui, nous sommes remontés jusqu'à l'origine de fabrication des produits achetés. Pour aller au-delà des produits achetés en France qui pourraient être fabriqués sur un autre continent par une filiale française, il faut remonter jusqu'au stade de la fabrication.

Plus de 60% de nos lignes articles des matières et emballage, sous-traitance, produits de services, sont à origine de fabrication en France et 20 % origine Europe. Donc plus de 80% de nos dépenses sont originaires d’Europe. En chiffre d'affaires, c’est à peu près du même ordre de proportion. Nos équipes sont assez fières de pouvoir dire que c’est cette politique achat environnementale qui permet d'acheter à proximité géographique.

Cette préférence à l’achat national peut donner naissance à de nouvelles collaborations par exemple dans les emballages, souvent les pots et articles de maquillage sont fabriqués en Chine. Nous avons mis des années à contretyper ces produits pour pouvoir les faire dans la Plastics Vallée en France. C'est très compliqué, mais on vient de le faire. C'est un parti pris d'acheter peut-être un peu plus cher, mais plus près et ne plus dépendre du transport international. Sans parler des aléas délai comme le canal de Suez ni de l’intérêt d’acheter français, nous avons estimé que c'était une économie de 35 tonnes de CO2 par an.

Exemple 2 

Recyclage des déchets : 90% du coût remboursé par la revente 

En 2004, nous avons commencé par le tri sélectif de nos déchets. Nous sommes une industrie, avec des usines et énormément de déchets industriels. En 2005, nous avons investi dans des bennes, des compacteurs, pour faire des tris sélectifs en sortie d'usine et commencer à pousser les utilisateurs à agir pour trier. Ensuite, nous nous sommes mis à vendre ces déchets. Avec le temps, j'ai pu prouver que dans la gestion des déchets, 90 % de mon coût de déchet est remboursé par ma revente. Ça ne s'est pas fait du jour au lendemain, mais c’est la preuve qu’on peut faire de l'écologie rentable. 80 % des déchets passent en économie circulaire : bois, cartons, fer, films plastiques, palettes, cubitainers et tout ce qu'on peut valoriser. On arrive même à faire des traitements sur des déchets industriels souillés, transformés en huile pour le BTP plutôt que de les incinérer définitivement. 

Aujourd'hui, les produits recyclés ou écologiques sont produits en moindre quantité que des résines brutes, vierges. Pour les acheteurs, c'est la loi de l'offre et de la demande. Quand il y a autant d'offre que de demande, c'est équilibré. Forcément, s’il y a un décalage, vous les payez plus cher. Si demain, nous consommions tous plus de recyclé, alors des filières de tri associées aux transformations chimiques de ces résines s’organiseront et les prix s’optimiseront. C'est toujours pareil : c'est cher à un instant T, quand on est trop précurseur, mais quand tout le monde l’utilisera, les prix deviendront plus conventionnels. Il faut revoir les grands schémas d'ensemble et ne rien s'interdire. Quand on dit que l'écologie coûte beaucoup plus cher, c'est qu'on ne veut pas le faire.

Exemple 3 

Collaboration et co-développement avec les fournisseurs 

De l’installation simple de silos dédiés chez des sous-traitants partenaires à l’intégration dans le processus de fabrication de nouveaux métiers de plasturgie

Avec des sous-traitants qui travaillent sur des très gros volumes, plutôt que de leur livrer des milliers de cubitainers de matières comme la glycérine, nous venons d’investir pour installer des silos géants chez un sous-traitant : à l’image du lait dans l’alimentaire, on fera livrer cette année la glycérine en camion-citerne de 20 tonnes, plutôt que faire des camions de multiples cubitainers de 1000 litres.

Oui, c'est un investissement, c’est un pari sur l'avenir, je paie des investissements chez mes sous-traitants pour que demain, mes fournisseurs puissent livrer en citerne et supprimer des milliers de cubitainers plastiques qui consomment des énergies fossiles. 

Les actions sur les flacons sont un autre exemple. Il se vend une lotion démaquillante micellaire Bioderma à chaque seconde. Nous fabriquons plus de 30 millions de flacons de lotions micellaires Créaline et Sensibio… Nous consommons beaucoup de plastique. Notre objectif est de remplacer la moitié du plastique brut de nos bouteilles par du plastique recyclé, moins énergivore et qui réduit l'empreinte carbone. Mais trouver les alternatives totales au plastique passera par des collaborations régionales et sectorielles.

Nous avons lancé un projet de souffler nos flacons sur site de conditionnement. La plupart des flacons viennent de France et d’Europe. Cela représente des centaines de milliers de km par camion. L'idée, c'est que le flacon sera fabriqué au moment de son remplissage. C'est-à-dire qu'on va réduire le stockage intermédiaire de milliers de flacons, on éliminera des ruptures de charge. On va fabriquer le flacon, on va le remplir, on va l'encaisser, le mettre sur une palette, il va partir. Cette technologie de soufflage à froid provient des bouteilles alimentaires comme Contrex ou Evian… : on fabriquera et achètera une toute petite préforme que nous pourrons faire acheminer chez nous par milliers sur une palette. C'est beaucoup moins de transport. Au dernier moment, on les soufflera en reprise dans des moules finisseurs, sur site chez nous. C'est un sacré pari, investir sur une technologie qu'on ne maîtrise pas encore et qui n’est pas notre métier de cosméticien. On estime gagner 500 tonnes de CO2 par an.

Stéphane Faustin-Leybach de conclure :

“De toute façon, quelles que soient les actions, on fera des économies à la fin. Je crois qu'on est dans une société qui est trop financiarisée. On regarde d'abord ce que ça génère comme économie et on ne regarde pas assez les impacts extra financiers, L’approche ROI unique est parfois un faux problème .

Merci à Stéphane Faustin-Leybach pour ce témoignage ainsi qu’aux équipes du CNA PACA pour l’organisation de cette rencontre lors du salon Top Transport : Jean-Charles Callod, Gilles Thierry, Mathilde Michaud et Jean-Philippe Di Ascia. 

Découvrez comment le réseau EcoVadis aide les entreprises à réduire leurs émissions directes et indirectes.

Prochaine rencontre en région avec le réseau du CNA : le 12 mai à Grenoble lors du Cercle des Achats Responsables - une journée entre professionnels des achats et de la RSE pour parler décarbonation et gestion responsable des chaînes d'approvisionnement.  En savoir plus.  

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En savoir plus sur NAOS, Made in Aix-en-Provence

NAOS est une entreprise à raison d'être, fondée dans le sud de la France à Aix en provence, il y a 43 ans et toujours dirigée par son fondateur Jean-Noël Thorel, pharmacien-biologiste. Cette société familiale non cotée est connue pour ses marques cosmétiques et dermatologiques Bioderma, Institut Esthederm, Etat Pur et son centre de recherche et innovation dans l’écobiologie NAOS LES LABORATOIRES. 

NAOS génère 600 M€ de CA dont 70 % réalisé à l'international dans 130 pays. NAOS dispose de plus de 40 filiales dans le monde. Une croissance à 2 chiffres et un budget achats de près de 200 M€.

Avec plus de 3000 salariés, NAOS est la 46e société cosmétique mondiale, troisième en France, la seule encore indépendante à ce niveau-là.

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Témoignages de professionnels Cosmétique / santé chimie et pharmacie : les sessions “Secteur de la cosmétique et de la beauté : Encourager les innovations durables avec Sue Y. Nabi, PDG, Coty.” et “Favoriser l'impact positif à grande échelle avec B Corp et EcoVadis.” sont en ligne et disponibles en replay

Scope 3 et chaîne d’approvisionnement : découvrez le webinaire Empreinte carbone aux Achats : le grand défi de la mesure et de la décarbonisation avec Jean-Luc Baras, directeur des achats de Eiffage et président du CNA.

A propos de l'auteur

Veronique Seel

Véronique Seel has been creating French content (data/studies/analysis and interviews) for EcoVadis since 2017. A graduate of the Conservatoire National des Arts et Métiers (Paris) in Engineering and B2B Marketing, Véronique progressively specialized in CSR and sustainability during her time as consultant for Vigeo Eiris, then helped BNP Paribas Cardif to create a Sustainable Development department, followed by three years contributing to cleantech and mobility projects in the European Atlantic Area. Véronique Seel is a partner of the Coapi cooperative based in La Rochelle, France.

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